LES ÉTATS-UNIS ET LE PROTECTIONNISME. UNE CONSTANCE ET DES VARIANTES
PROCHE-ORIENT. 7 OCTOBRE : UN AN APRÈS… Ph. Mocellin et Ph. Mottet
POUR L’INDE, LA RUSSIE EST UN INVESTISSEMENT A LONG TERME. Olivier DA LAGE
LA CHINE ET L’ARCTIQUE. Thierry GARCIN
L’ESPACE, OUTIL GÉOPOLITIQUE JURIDIQUEMENT CONTESTÉ. Quentin GUEHO
TRIBUNE - FACE À UNE CHINE BÉLLIQUEUSE, LE JAPON JOUE LA CARTE DU RÉARMEMENT. Pierre-Antoine DONNET
DU DROIT DE LA GUERRE DANS LE CONFLIT ARMÉ RUSSO-UKRAINIEN. David CUMIN
ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC EMMANUEL LINCOT sur la Chine et l’Asie centrale. « LE TRÈS GRAND JEU »
ENTRETIEN AVEC HAMIT BOZARSLAN. DE L’ANTI-DÉMOCRATIE À LA GUERRE EN UKRAINE
ENTRETIEN EXCLUSIF - LE MULTILATERALISME AU PRISME DE NATIONS DESUNIES. Julian FERNANDEZ
L’AFRIQUE ET LA CHINE : UNE ASYMÉTRIE SINO-CENTRÉE ? Thierry PAIRAULT
L’INDO-PACIFIQUE : UN CONCEPT FORT DISCUTABLE ! Thierry GARCIN
L’ALLIANCE CHIP4 EST-ELLE NÉE OBSOLÈTE ? Yohan BRIANT
BRETTON WOODS ET LE SOMMET DU MONDE. Jean-Marc Siroën
LES ENJEUX DE SÉCURITE DE L’INDE EN ASIE DU SUD. Olivier DA LAGE
LA CULTURE COMME ENJEU SÉCURITAIRE. Barthélémy COURMONT
L’ARCTIQUE ET LA GUERRE D’UKRAINE. Par Thierry GARCIN
LA REVANCHE DE LA (GEO)POLITIQUE SUR L’ECONOMIQUE
UKRAINE. CRISE, RETOUR HISTORIQUE ET SOLUTION ACTUELLE : « LA NEUTRALISATION ». Par David CUMIN
VLADIMIR POUTINE : LA FIN D’UN RÈGNE ? Par Galia ACKERMAN
« LA RUSE ET LA FORCE AU CŒUR DES RELATIONS INTERNATIONALES CONTEMPORAINES »
L’INTER-SOCIALITE AU COEUR DES DYNAMIQUES ACTUELLES DES RELATIONS INTERNATIONALES
LES MIRAGES SÉCURITAIRES. Par Bertrand BADIE
LE TERRITOIRE EN MAJESTÉ. Par Thierry GARCIN
UNION EUROPÉENNE : UNE SOLIDARITÉ TOURNÉE VERS UN PROJET DE PUISSANCE ? Par Joséphine STARON
LES TALIBANS DANS LA STRATÉGIE DIPLOMATIQUE DE LA CHINE. Par Yohan BRIANT
🔎 CHINE/ETATS-UNIS/TAÏWAN : LE TRIANGLE INFERNAL. Par P.A. Donnet
LA RIVALITÉ CHINE/ÉTATS-UNIS SE JOUE ÉGALEMENT DANS LE SECTEUR DE LA HIGH TECH. Par Estelle PRIN
🔎 LES « MÉTAUX RARES » N’EXISTENT PAS... Par Didier JULIENNE
🔎 L’ARCTIQUE DANS LE SYSTÈME INTERNATIONAL. Par Thierry GARCIN
LES PARAMÈTRES DE LA STRATÉGIE DE DÉFENSE DE L’IRAN. Par Tewfik HAMEL
🔎 LES NOUVELLES GUERRES SYSTEMIQUES NON MILITAIRES. Par Raphaël CHAUVANCY
L’INTERNATIONALISME MÉDICAL CUBAIN AU-DELÀ DE L’ACTION HUMANITAIRE. Par G. B. KAMGUEM
UNE EUROPE TRIPLEMENT ORPHELINE
LA DETTE CHINOISE DE DJIBOUTI. Par THIERRY PAIRAULT
CONSEIL DE SECURITE - L’AFRIQUE EST-ELLE PRÊTE POUR PLUS DE RESPONSABILITÉ ?
COMMENT LA CHINE SE PREPARE POUR FAIRE FACE AU DEUXIEME CHOC ECONOMIQUE POST-COVID. Par J.F. DUFOUR
GUERRE ECONOMIQUE. ELEMENTS DE PRISE DE CONSCIENCE D’UNE PENSEE AUTONOME. Par Christian HARBULOT
LA CRISE DU COVID-19, UN REVELATEUR DE LA NATURE PROFONDE DE L’UNION EUROPEENNE. Par Michel FAUQUIER
(1) GEOPOLITIQUE D’INTERNET et du WEB. GUERRE et PAIX dans le VILLAGE PLANETAIRE. Par Laurent GAYARD
La GEOPOLITIQUE DES POSSIBLES. Le probable sera-t-il l’après 2008 ?
« Une QUADRATURE STRATEGIQUE » au secours des souverainetés nationales
L’Europe commence à réagir à l’EXTRATERRITORIALITE du droit américain. Enfin ! Par Stephane LAUER
LA DEFENSE FRANCAISE, HERITAGE ET PERPECTIVE EUROPEENNE. Intervention du Général J. PELLISTRANDI
L’EUROPE FACE AUX DEFIS DE LA MONDIALISATION (Conférence B. Badie)
De la COMPETITION ECONOMIQUE à la GUERRE FROIDE TECHNOLOGIQUE
ACTUALITES SUR L’OR NOIR. Par Francis PERRIN
TRUMP REINVENTE LA SOUVERAINETE LIMITEE. Par Pascal Boniface
Une mondialisation d’Etats-Nations en tension
LES THEORIES DES RELATIONS INTERNATIONALES AUJOURD’HUI. Par D. Battistella
MONDIALISATION HEUREUSE, FROIDE et JEU DE MASQUES...
RESISTANCE DES ETATS, TRANSLATION DE LA PUISSANCE
Ami - Ennemi : Une dialectique franco-allemande ?
DE LA DIT A LA DIPP : LA FRAGMENTATION DE LA...
Conférence de Pierre-Emmanuel Thomann : La rivalité géopolitique franco-allemande (24 janvier 2017)
Conférence d’Henrik Uterwedde : Une monnaie, deux visions (20 janvier 2016)
Conférence de Bertrand Badie : Les fractures moyen-orientales (10 mars 2016)
LES INSTANCES DE COOPÉRATION STRATÉGIQUE ET DE SÉCURITE EN INDO-PACIFIQUE ET LEURS INTÉRETS POUR L’UE. Chloé BAMBERGER
mardi 25 juin 2024 Chloé BAMBERGER
Dans la région Indo-pacifique - entre les initiatives chinoises institutionnelles et les mesures occidentales - l’UE tente « d’exister » à partir de ses principes diplomatiques et de partenariat. La rivalité sino-américaine, l’arsenalisation des interdépendances et des échanges, tendent à accroître le lien entre la sécurité de l’Indo-Pacifique et celle de l’euro-atlantique. Notamment avec la présence accrue de l’OTAN... Chloé Bamberger (1) analyse ce vrai dilemme stratégique pour l’UE, largement divisée ou impuissante sur le sujet. Certains membres souhaiteraient préserver (construire...) une autonomie stratégique. On notera la place singulière et le rôle (incertain et menacé) de la France. Geopoweb publie aussi régulièrement des travaux de jeunes chercheurs.
(1) Chloé Bamberger est analyste en stratégie internationale, diplômée d’IRIS Sup’
Introduction
Reconnaissant l’importance stratégique de l’Indo-Pacifique, l’Union européenne (UE) a publié une stratégie de coopération en septembre 2021, mettant l’accent sur le multilatéralisme et l’inclusivité. Cette région se distingue par sa connectivité régionale, l’importance accordée à la sécurité maritime et la préservation de la liberté de navigation, tout en étant un moteur de la croissance mondiale avec sept membres du G20 [1]. L’appropriation du concept d’Indo-Pacifique par des acteurs majeurs tels que le Japon, l’Australie, les États-Unis, l’Inde, la France et d’autres pays européens, témoignent de l’émergence d’une dynamique géopolitique majeure. Ainsi, sa construction reflète une évolution profonde des perceptions géopolitiques de la région, mettant en lumière les enjeux stratégiques, économiques et sécuritaires qui y sont associés [2]. Les interactions entre les puissances régionales et mondiales ont joué, et continuent de jouer, un rôle crucial. Les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Australie et la Corée du Sud sont souvent considérés comme les principaux acteurs de la région, en raison de leur poids économique, politique et militaire. Les organisations régionales telles que l’ASEAN, l’APEC ou le FIP jouent un rôle central dans la promotion du multilatéralisme. Cependant, l’environnement institutionnel multilatéral de la région est profondément influencé par la rivalité sino-américaine. La concurrence géopolitique intense qui se joue dans la région fait peser d’importantes tensions sur les échanges commerciaux et les chaînes d’approvisionnement, ainsi que dans les domaines technologique, politique et de la sécurité et entraîne des répercussions directes sur les intérêts de l’Union. Exacerbée par l’absence d’une architecture de sécurité régionale structurée, cette rivalité a alimenté une tendance à la bipolarisation, et a conduit à la formation de partenariats sécuritaires sélectifs par ces deux puissances, comme le Quad, l’AUKUS ou l’OCS, excluant certains États de la région et auxquels l’UE ne participe pas.
Pour cette dernière, cette absence de structure organisationnelle cohérente présente le risque de fragmentation, limitant ainsi sa capacité à élaborer une approche unifiée. Sa stratégie repose sur une approche plus multipolaire et multidimensionnelle, plutôt qu’une logique de bloc et se caractérise par une coopération large et inclusive avec ses partenaires régionaux. En ce sens, l’approche européenne se différencie des approches qui priorisent la confrontation militaire Cependant, les rivalités entre la Chine et les Etats-Unis exacerbent les tensions, et il est de plus en plus difficile pour les européens de rester neutres [3]. Par ailleurs, l’OTAN, en intensifiant son dialogue avec des partenaires clés comme l’Australie, le Japon, la République de Corée et la Nouvelle-Zélande, élargit son influence stratégique dans la région. Cette évolution, soutenue par les États-Unis mais contestée par certains Européens, souligne l’interdépendance croissante entre la sécurité de l’Indo-Pacifique et celle de l’euro-atlantique, soulevant des questions sur l’impact de ces développements sur les stratégies de sécurité et de défense de l’UE.
LES INITIATIVES CHINOISES ET LEUR IMPACT RÉGIONAL
i. L’Organisation de coopération de Shanghai
Source : site OCS, L’organisation de Coopération de Shangai, 2022
L’OCS représente l’une des plus grandes alliances régionales au monde, englobant huit États membres majeurs : la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, l’Inde et le Pakistan, et accueillant depuis 2023 l’Iran, tandis que l’Égypte, le Qatar ainsi que l’Arabie saoudite sont devenus des partenaires de dialogue. En couvrant 25 % de la superficie mondiale et abritant 41 % de la population mondiale, soit environ 3 milliards de personnes, ainsi qu’en contribuant à hauteur de 24 % au PIB mondial [4], l’OCS joue un rôle significatif sur la scène internationale et dans la promotion de la stabilité et de la sécurité en Asie centrale et en Eurasie [5]. L’Organisation de Shanghai pour la coopération jouit du statut d’observateur auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies depuis 2005. En outre, l’OCS entretient des relations de dialogue et de coopération avec d’autres organisations et pays dans la région, tels que l’ASEAN.
Dans les faits, ses membres – parmi lesquels une majorité de pays d’Asie centrale – coopèrent en particulier dans les domaines sécuritaire et stratégique. Souvent perçue comme un contrepoids à l’influence occidentale en Asie, l’OCS se positionne en tant que front anti-Occident, dans une approche souvent axée sur les sujets économiques et les crises régionales [6].
Le sommet de l’OCS de 2022, auquel a assisté le Président chinois Xi Jinping à Samarcande, a souligné l’importance accordée par la Chine à cette organisation. L’OCS lui offre un espace pour consolider son influence régionale. Pour l’Inde, adhérer à l’OCS lui a permis de gagner en influence en Asie centrale et au Moyen-Orient, malgré la présence du Pakistan au sein de l’Organisation. Cependant, les tensions survenues à la frontière entre la Chine et l’Inde au printemps 2020 ont illustré les divisions internes parmi les membres de l’organisation. Alors même que la Chine souhaite consolider son influence, l’OCS continue de se développer en tant que plateforme majeure pour les interactions internationales en dehors du contexte occidental dans la région Indo-Pacifique. Le prochain Sommet de l’organisation se tiendra les 3 et 4 juillet prochain, pendant lequel l’admission de la Biélorussie en tant que membre à part entière de l’OCS devrait être approuvée.
Pour l’UE, l’Inde, en tant qu’État membre de l’OCS, représente un partenaire stratégique de premier plan. La coopération potentielle entre l’UE et l’OCS, notamment dans la lutte contre le terrorisme, suscite un intérêt stratégique significatif. Cependant, cette perspective est entravée par plusieurs obstacles géopolitiques. L’OCS est fortement influencée par la Chine et la Russie, acteurs majeurs dont les positions divergent sur des questions cruciales telles que les droits humains, la démocratie et les normes internationales. De plus, les tensions exacerbées depuis le conflit en Ukraine compliquent davantage toute tentative de coopération étroite avec l’UE, et soulignent les complexités géopolitiques auxquelles l’UE est confrontée dans la poursuite de ses objectifs stratégiques dans la région Indo-Pacifique.
ii. La Conférence sur les Mesures de Confiance et de Sécurité en Asie (CICA) : un forum de sécurité dans l’Indo-Pacifique
Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie. Source : Wikipedia, 2023
Établie en 1992, la Conférence sur les Mesures de Confiance en Asie (CICA) compte 28 pays membres [7] et 9 États observateurs [8], constituant une plateforme cruciale pour les discussions sur la sécurité et la stabilité en Asie.
La présidence chinoise de la période 2014-2018 a revêtu une signification particulière pour la CICA. Au cours de cette période, la Chine a activement promu sa propre conception d’un nouveau modèle de sécurité régionale en Asie, mettant en avant des principes tels que l’inclusion, la coopération et le respect de la souveraineté des États. Cette orientation s’est traduite par l’exclusion délibérée des États-Unis de certaines discussions et initiatives au sein de la CICA, renforçant ainsi l’influence chinoise dans le processus de formulation des politiques de sécurité régionale.
Pour l’UE, la participation à la CICA soulève des défis substantiels, notamment en raison des divergences d’approches entre les États membres de la CICA, tels que la Chine et la Russie, et ceux de l’UE. Ces différences complexes influencent significativement la capacité de l’Union à coordonner ses positions et initiatives au sein de la conférence. En conséquence, l’UE se trouve confrontée à des difficultés pour promouvoir efficacement ses intérêts et objectifs en matière de sécurité régionale au sein de cette plateforme essentielle de dialogue sur la sécurité en Asie. Cette situation renforce la nécessité pour l’UE de considérer attentivement ses approches stratégiques dans un contexte géopolitique de plus en plus polarisé.
LES INITIATIVES OCCIDENTALES : ENTRE COOPÉRATION SÉLECTIVE ET ISOLEMENT STRATÉGIQUE
i. Le partenariat de sécurité anglo-saxon AUKUS et l’isolement stratégique de l’Europe
L’accord AUKUS, établi en septembre 2021 entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, vise à renforcer la coopération en matière de défense et de sécurité dans la région Indo-Pacifique pour contrer l’influence croissante de la Chine, particulièrement en mer de Chine méridionale. Axé sur le partage de renseignements, la technologie et le développement militaire, il complète d’autres mécanismes régionaux de sécurité comme le Quad ou ADMM+ (ministres de la défense de l’ASEAN). Les réactions à cet accord sont contrastées en Asie, suscitant des préoccupations pour certains pays comme l’Indonésie et la Malaisie, tandis que Singapour et les Philippines y voient une contribution à la stabilité [9]. Il est principalement axé sur la collaboration dans le domaine des sous-marins, ayant conduit à la décision de l’Australie de rompre un accord de 2016 avec la France pour acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire en collaboration avec les États-Unis et le Royaume-Uni, provoquant des tensions diplomatiques.
Ainsi, la création de l’AUKUS, a renvoyé l’image d’une divergence entre pays occidentaux dans la région, attribuée à son caractère anglo-saxon, ce qui a pu donner l’impression d’une teinte anti-européenne [10]. Cette situation a soulevé des inquiétudes quant à la diminution du rôle géopolitique de l’UE et à l’isolement stratégique de l’Europe [11]. L’AUKUS pourrait potentiellement diminuer l’influence de l’UE en focalisant l’attention sur des initiatives dominées par des pays anglophones et en créant des divisions parmi les alliés traditionnels. Récemment, certains pays ont commencé à envisager une coopération potentielle et limitée avec le Japon, plutôt que d’élargir l’adhésion formelle à de nouvelles entités.
ii. Le Quad et la voie d’une possible coopération
Créé en 2007, le Quad est une initiative multilatérale regroupant le Japon, l’Australie, les États-Unis et l’Inde, visant à renforcer les capacités militaires en cas de crise majeure et à contrer l’influence chinoise. Le groupe informel a pour but de contrer l’influence militaire de Pékin dans la région. L’extension récente du Quad inclut de nouveaux partenaires comme Singapour, la Corée du Sud et l’Indonésie, élargissant ses domaines d’action pour aborder des questions para-stratégiques (production de vaccins, construction d’infrastructures de qualité) et de sécurité maritime, tout en maintenant son orientation politico-militaire. Cependant, bien que le Quad recourt au soft power, son caractère politico-militaire reste sa caractéristique dominante, réaffirmant son rôle central dans la défense de l’ordre international libéral [12]. En mars 2023, les quatre membres du Quad ont émis une déclaration appelant à une « paix juste et durable en Ukraine » ainsi qu’au respect d’un ordre fondé sur des règles dans les mers de Chine méridionale et orientale. Cette prise de position a immédiatement suscité de vives réactions de la part de la Russie et de la Chine, lesquelles ont critiqué le Quad en le qualifiant de perturbateur et d’« exclusif ». En effet, au-delà de la simple coalition, Pékin s’inquiète également de la reconfiguration des alliances et des partenariats de sécurité dans la région, la plupart étant perçus comme étant dirigés contre ses intérêts [13].
Bien que l’UE ne soit pas membre du Quad, elle entretient des relations bilatérales et multilatérales avec chacun des pays signataires. Elle partage en effet des préoccupations similaires du partenariat en matière de droits humains, de sécurité maritime et de développement durable. Une participation formelle de l’UE reste improbable, mais des États membres pourraient s’impliquer individuellement dans ce format, sous la forme d’une contribution d’un État membre, que ce soit la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas.
LE RENFORCEMENT DE LA PRÉSENCE DE L’OTAN EN INDO-PACIFIQUE
Récemment, l’OTAN, en intensifiant son dialogue avec des partenaires clés tels que l’Australie, le Japon, la République de Corée et la Nouvelle-Zélande, a élargi son influence stratégique dans la région Indo-Pacifique, particulièrement depuis le début de la guerre en Ukraine. Face à la complexité de l’environnement de sécurité actuel, cette région revêt une importance stratégique croissante pour l’Alliance, en raison des dynamiques géopolitiques impliquant la Chine et d’autres acteurs régionaux. En participant à des sommets de l’OTAN et à des réunions de haut niveau, ces partenaires partagent leur expertise sur des défis de sécurité communs, allant de la cyberdéfense aux incidences du changement climatique. Pour l’UE, cette présence accrue de l’OTAN souligne l’interdépendance entre la sécurité de l’Indo-Pacifique et celle de l’euro-atlantique, tout en soulevant des questions sur la manière dont ces développements pourraient influencer ses propres stratégies de sécurité et de défense. Bien que soutenue par les États-Unis, cette approche est contestée par certains Européens, notamment Emmanuel Macron, qui s’est opposé à la création d’un bureau de l’OTAN au Japon. Cela pose un dilemme stratégique pour l’UE : aligner ses priorités de sécurité avec une OTAN plus engagée en Indo-Pacifique, tout en préservant son autonomie stratégique.
Enfin, bien que la question de l’autonomie stratégique européenne soit souvent perçue comme un défi complexe, la France s’affirme de plus en plus dans ce domaine. En tant que puissance riveraine et membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies, elle possède une responsabilité unique dans l’Indopacifique. Avec 1,6 million de ressortissants répartis sur ses territoires d’outre-mer, la France contrôle neuf des onze millions de km² de sa zone économique exclusive. Sa présence militaire substantielle, avec 7 000 personnels déployés en permanence, défend sa souveraineté et contribue à la stabilité régionale. La France renforce ses partenariats bilatéraux avec des pays comme les États-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon, et s’intègre dans des institutions multilatérales telles que l’Indian Ocean Naval Symposium. Naviguant dans un contexte de sécurité marqué par des menaces transnationales et les impacts du changement climatique, elle utilise l’UE comme levier pour ses engagements Indopacifique. Cette dualité entre ambition et complexité constitue une dimension importante de la réflexion actuelle sur la place de la France et de l’Europe dans l’ordre mondial contemporain [14].
Conclusion
Ainsi, l’ensemble de ces organisations, ainsi que les diverses approches de coopération multilatérale qui émergent, mettent en lumière les aspects complexes caractérisant la région de l’Indo-Pacifique. L’UE se distingue des États-Unis en privilégiant la diplomatie, la coopération économique et les partenariats régionaux pour aborder les questions de sécurité dans cette zone. Cette approche reconnaît les réalités géopolitiques complexes et implique implicitement une limitation de l’influence de l’UE en termes de puissance militaire.
Bien que cela puisse soulever des questions quant à la capacité de l’UE à défendre ses intérêts essentiels dans un environnement marqué par des rivalités de puissance et des défis sécuritaires, l’Union peut renforcer sa crédibilité par ses contributions en matière de droits humains, de gestion des crises et de diplomatie, démontrant ainsi que la sécurité ne se réduit pas uniquement à la puissance militaire.
Chloé Bamberger, le 24 juin 2024
Mots-clés
criseéconomie et histoire
géopolitique
géoéconomie
gouvernance
Guerre
Institutions
mondialisation
puissance
régionalisation
Relations internationales
souveraineté
Asie
Chine
Etats-Unis
Union européenne
Japon
France
Inde
Notes
[1] Afrique du Sud, Australie, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Japon
[2] COURMONT, Barthélemy, et al. « L’Indo-Pacifique, des visions plurielles entre convergences et dissonances », Revue internationale et stratégique, vol. 129, no. 1, 2023, pp. 35-39.
[3] GRARE, Frédéric, REUTER, Manisha. « La vision européenne de l’Indopacifique – European Council on Foreign Relations ». ECFR, 15 décembre 2021.
[4] OCS, 2018. Information Report following the Meeting of the Council of Heads of State of the Shanghai Cooperation Organisation Member States, 9-10 June 2018.
[5] « OCS*, un sommet contre l’Occident pour un monde multipolaire ? » FDBDA, 22 septembre 2022.
[6] MATHEVON, Franck, « L’Organisation de coopération de Shanghaï, un front anti-Occident fragile », France Inter, 4 juillet 2023.
[7] Afghanistan, Azerbaïdjan, Bahreïn, Bangladesh, Cambodge, Chine, Corée du Sud, Égypte, Émirats arabes unis, Inde, Iran, Irak, Israël, Jordanie, Kazakhstan, Kirghizistan, Koweït, Mongolie, Ouzbékistan, Pakistan, Palestine, Qatar, Russie, Sri Lanka, Tadjikistan, Thaïlande, Turquie, Viêt Nam (site de la CICA : http://www.s-cica.org/)
[8] En anglais : Conference on Interaction and Confidence-Building Measures in Asia
[9] FACAL, Gabriel. « Indonésie, l’ancrage d’une centralité en Indo-Pacifique ». Revue Internationale et Stratégique, Armand Colin, 2023/1 (N°129), p. 115-124.
[10] PERON-DOISE , Marianne. « La stratégie indo-pacifique de l’Union européenne au risque de la compétition Chine/États-Unis », vol. n°112, Diplomatie, novembre 2021.
[11] MARTIN Éric-André, KRPATA Marie, “The Dilemma of Middle Powers : How AUKUS Has Reshaped the Potential for E3 Cooperation in the Indo-Pacific”, Ifri, Notes du Cerfa, October 2021, No. 166
[12] PERON-DOISE, Marianne. « La stratégie Indo-Pacifique de l’administration Biden : façonner la région pour contrer l’affirmation de la puissance chinoise ». Revue Internationale et Stratégique, Armand Colin, 2023/1 (N°129), p. 63-72
[13] Les pays du « Quad » adressent un nouvel avertissement à Pékin. https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/pays-quad-adressent-un-nouvel-avertissement-pekin.
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