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DU DROIT DE LA GUERRE DANS LE CONFLIT ARMÉ RUSSO-UKRAINIEN. David CUMIN

LES YAKUZAS JAPONAIS. UN EXEMPLE LOCAL DE LA CONTIGUÏTE DU CRIME ORGANISÉ, DE LA GÉOPOLITIQUE ET DE LA MONDIALISATION. Gaël MICOUIN

BREXIT, COVID-19, QATARGATE, GUERRE EN UKRAINE - CE QUE LES ACTEURS DE L’UNION EUROPÉENNE FONT DES CRISES

SIX MOIS AVANT LES ELECTIONS EUROPEENNES, L’ALLEMAGNE ET LA FRANCE DOIVENT FORGER LE DISCOURS D’UNE EUROPE PLUS GEOPOLITIQUE. Jeanette Süß

ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC EMMANUEL LINCOT sur la Chine et l’Asie centrale. « LE TRÈS GRAND JEU »

ENTRETIEN AVEC HAMIT BOZARSLAN. DE L’ANTI-DÉMOCRATIE À LA GUERRE EN UKRAINE

EN EUROPE COMME À L’INTERNATIONAL, UN PARCOURS SEMÉ D’EMBÛCHES POUR LE DUO FRANCO-ALLEMAND. Marie KRPATA

ENTRETIEN EXCLUSIF - LE MULTILATERALISME AU PRISME DE NATIONS DESUNIES. Julian FERNANDEZ

L’AFRIQUE ET LA CHINE : UNE ASYMÉTRIE SINO-CENTRÉE ? Thierry PAIRAULT

L’INDO-PACIFIQUE : UN CONCEPT FORT DISCUTABLE ! Thierry GARCIN

L’ALLIANCE CHIP4 EST-ELLE NÉE OBSOLÈTE ? Yohan BRIANT

INVESTISSEMENTS DIRECTS A L’ÉTRANGER - D’UNE STRATÉGIE DE FIRMES À UNE STRATÉGIE GÉOPOLITIQUE (2ème partie). Laurent Izard

INVESTISSEMENTS DIRECTS A L’ÉTRANGER - D’UNE STRATÉGIE DE FIRMES À UNE STRATÉGIE GÉOPOLITIQUE. Laurent IZARD

BRETTON WOODS ET LE SOMMET DU MONDE. Jean-Marc Siroën

LES ENJEUX DE SÉCURITE DE L’INDE EN ASIE DU SUD. Olivier DA LAGE

LA CULTURE COMME ENJEU SÉCURITAIRE. Barthélémy COURMONT

QUELLES POSSIBILITÉS D’ÉVOLUTION POUR LES PETITS ETATS EN RELATIONS INTERNATIONALES ? LE CAS DU QATAR. Par Lama FAKIH

LES ENJEUX STRATÉGIQUES DES CÂBLES SOUS-MARINS DE FIBRE OPTIQUE DANS L’ARCTIQUE. Par Michael DELAUNAY

L’ARCTIQUE ET LA GUERRE D’UKRAINE. Par Thierry GARCIN

LA REVANCHE DE LA (GEO)POLITIQUE SUR L’ECONOMIQUE

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TRUMP REINVENTE LA SOUVERAINETE LIMITEE. Par Pascal Boniface

Une mondialisation d’Etats-Nations en tension

LES THEORIES DES RELATIONS INTERNATIONALES AUJOURD’HUI. Par D. Battistella

Guillaume Duval et Henrik Uterwedde, « Traité de l’Elysée 2.0 : Les clés d’une nouvelle étape de l’intégration européenne ? » (6 février 2018)

MONDIALISATION HEUREUSE, FROIDE et JEU DE MASQUES...

RESISTANCE DES ETATS, TRANSLATION DE LA PUISSANCE

Libéraux contre libéraux

Ami - Ennemi : Une dialectique franco-allemande ?

PUISSANCES MOYENNES d’hier et d’aujourd’hui entre impuissance et émergence (B. Badie, professeur des Universités, Sc Po Paris)

DE LA DIT A LA DIPP : LA FRAGMENTATION DE LA...

Conférence de Pierre-Emmanuel Thomann : La rivalité géopolitique franco-allemande (24 janvier 2017)

Conférence d’Henrik Uterwedde : Une monnaie, deux visions (20 janvier 2016)

Conférence de Bertrand Badie : Les fractures moyen-orientales (10 mars 2016)

Conférence de Bertrand Badie - L’énigme des émergents : la Chine rivale ou interdépendante des Etats-Unis ? (21 février 2013)

U.E - LES DOSSIERS : GAIA-X, 5 G, FONDS EUROPEEN DE DEFENSE, DEEP TECH, CONTROLE DES INVESTISSEMENTS SENSIBLES, POLITIQUES DE SOUVERAINETE...

Premières mesures de souveraineté économique et technologique pour l’Europe (2eme partie). Une doctrine qui reste fragile.

dimanche 26 juillet 2020 Patrick LALLEMANT

Les dossiers : Gaia-X, Fonds européen de défense (FED), Deep Tech, question de la 5 G, contrôle des investissements sensibles...

Dans l’article précédent, nous avons vu les circonstances du réveil européen dans le cadre d’un affrontement de puissances avec les Etats-Unis et la Chine. Cette situation a été accentuée par la crise du Covid-19, fonctionnant comme un véritable révélateur de l’extrême fragilité de l’U.E (sur le plan numérique et sanitaire) et de son « soft power ». Les Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road initiative) sont aussi perçues, un peu comme un cheval de Troie. On se rappelle que la Commission s’est souvent érigée contre la construction de champions européens : citons le cas emblématique, Alstom/Siemens [1].

Toutefois, dés avant la crise sanitaire, Ursula von der Leyen a composé sa « Commission géopolitique », en donnant à Thierry Breton (ancien PDG d’Atos) le poste large de Commissaire chargé de la politique industrielle (marché intérieur, numérique, défense et espace) : des dossiers majeurs dans la recherche de la souveraineté. Thierry Breton et Margrethe Vestager (Commissaire à la concurrence) sont engagés sur « une résistance » aux géants américains du numérique et à la concurrence chinoise déloyale. « La thématique de la concurrence libre et non faussée », moyen pour atteindre une fin (favorable au consommateur) se trouve implicitement dans les articles 81 à 89 du Traité C.E. La Directive du 31 mars 2004, sur l’ouverture des marchés publics, peut être aussi un outil de fragilisation des entreprises des Etats-membres. On appréciera « les nuances » du Traité de Lisbonne sur cette question [2]
Volontarisme d’un autre côté : fin 2018, Bruxelles a donné son feu vert au plan européen sur la nanoélectronique mécanisme [3]. Ce plan associe la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. C’est un mécanisme pour favoriser des projets d’intérêt stratégique (voiture, autonome, calcul intensif...). Ce projet concerne une filière stratégique (aéronautique, automobile, défense...) et donc un enjeu de souveraineté en particulier sur l’approvisionnement en composants électroniques.

On ne peut nier de réels changements de doctrine. Il faudra toutefois suivre par exemple, la fusion Alstom/Bombardier, le devenir de la société stratégique Aubert§Duval [4] , la pérennité des derniers accords commerciaux [5] pour pouvoir conclure à l’affirmation d’une « nouvelle Europe ». Le devenir des projets des Tribunaux d’arbitrage privés, pour régler les litiges entre les Etats et les entreprises, indiquera aussi le sens des ruptures annoncées.

Celle qui voudrait peser sur la scène internationale devra lever bien des obstacles en établissant une meilleure réciprocité entre les puissances [6]. Un engagement pour une génération entière !

L’EUROPE AVANCE... [7]

LA SOUVERAINETE EUROPEENNE OU LE SEUL MOYEN D’EXISTER SUR LA SCENE INTERNATIONALE

Quoi que l’on puisse en penser sur le long terme (en particulier sur la question des relocalisations), on ne peut que constater un vent nouveau au plan national ou européen concernant la souveraineté industrielle, technologique, demain peut-être alimentaire... La notion de guerre économique, arrivée tardivement dans le discours des élites européennes, n’est plus vraiment discutée. Il est important de ne pas subir celle des autres ! Combiner souverainetés nationales et européenne devient un nouveau défi dialectique, un enjeu pour survivre au niveau international.

- Douche froide aussi pour l’Allemagne avec l’affaire Kuka. Plus récemment D. Trump a essayé de racheter le laboratoire allemand (CureVac) qui développe des vaccins contre les maladies infectieuses. Ce qui a conduit le gouvernement Merkel a rentré dans son capital auprès de la société allemande D. Hopp (rachat grâce à la KFW pour 23 %). Peter Altmaier s’inscrit désormais dans la nouvelle doctrine européenne. En mars 2020, l’Allemagne avait déjà durci sa législation, donnant à l’Etat un veto possible, si un investisseur étranger souhaite racheter plus de 10 % du capital d’une société stratégique pour l’infrastructure du pays. Une disposition qui va s’élargir aux biotechnologies, au médical, à l’intelligence artificielle et à la robotique. Le ministre a présenté une stratégie industrielle nationale pour 2030 et soutient désormais la création de champions nationaux ou européens [8].
Le 2 mai 2019, « l’Airbus des batteries » (EBA, European battery Alliance) est lancé officiellement pour construire une filière stratégique alternative aux importations d’Asie (Chine et Corée). L’idée est de partir d’un consortium d’entreprises (Renault, PSA, Total, Volkswagen...) avec le soutien de la Commission, qui devrait à terme aboutir à une co-compétition ; certaines entreprises européennes investissant également avec des partenaires chinois...

- Lors du FIC 2020 [9], l’ANSSI [10] appelle à la construction d’une souveraineté européenne. En juillet 2016, l’Union européenne a mis en place la directive NIS [11]. Cette directive étend à d’autres acteurs économiques que les opérateurs d’importance vitale OIV [12], les obligations de sécurité et de notification d’incidents. Au niveau européen, le Cybersecurity Act [13] prévoit d’instituer l’ENISA, l’Agence européenne pour la cybersécurité qui définit un dispositif commun et un cadre européen de certification. La directive NIS va créer un cadre règlementaire pour renforcer la cybersécurité « des opérateurs de services qui sont essentiels au fonctionnement de l’économie et de la société (OSE) ». Le texte de loi a été adopté au Parlement en février 2018. L’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information a été crée en mars 2004. Le Cybersécurité Act [14] est une avancée importante pour l’autonomie stratégique de l’Europe.

- Au niveau français, le gouvernement tente de relancer les politiques de filières. Depuis 2013, des contrats sont passés avec les industries stratégiques. Des accords ont été signé avec UPSA et Sanofi dans le cadre du Comité stratégique de filière des industries de santé. Les filières sont pilotées par le CNI (Conseil national de l’industrie) [15]. La DGE (Direction générale des entreprises), le Ministère de l’Economie et des Finances, mettent en oeuvre les politiques publiques liées à l’industrie, au numérique etc...L’Agence de l’innovation de défense, sorte de « Darpa à la française » est née le 1er septembre 2018 [16]

 Réuni exceptionnellement à Aix, le Cercle des économistes a proposé début juillet 2020, une quinzaine de réponses à la crise, qui passent par l’Europe et la reconstruction de filières. Il faut bâtir « un nouveau leadership moral de l’Europe », protéger ses données (Cloud European Act) et mettre en place un « Buy European Act », pour réserver aux entreprises des Etats-membres, l’accès aux marchés publics (en particulier ceux de la santé, de l’écologie...). Il est urgent de créer des Agences Européennes couvrant les domaines de la défense, énergie, santé, numérique (type DARPA et BARDA aux Etats-Unis), ainsi que des mesures de facilitation de remboursement des prêts garantis accordés aux entreprises. P. Aghion s’est exprimé plusieurs fois sur ce projet franco-allemand pour résister à une « véritable course aux armements » dans le domaine de l’intelligence artificielle, le stockage des données, les semi-conducteurs etc...

- La France a désormais une nouvelle vigie sur les questions d’intelligence économique. Cet observatoire vient d’être créé sous l’impulsion du Synfie (syndicat français de l’IE), pour détecter les menaces étrangères sur nos pépites et nos fleurons. On y trouve des personnalités tels Didier Le Bret (ancien Coordonnateur national du renseignement), Claude Revel (ex-déléguée interministérielle à l’Intelligence économique) et Frédéric Pierucci, emprisonné aux Etats-Unis dans le cadre du bras de fer entre la justice américaine et son employeur Alstom.

 Avant de nous intéresser aux GRANDS DOSSIERS, rappelons toutefois que toutes ces inflexions, ainsi que la prise de conscience commencent avant la crise sanitaire. Dans son dernier grand discours sur l’état de l’Union (septembre 2018 : « L’heure de la souveraineté européenne »), Jean-Claude Juncker exhorte au développement de celle-ci. Dés 2017, il proposait un mécanisme pour mieux surveiller les investissements étrangers présentant un risque pour la sécurité. Principe d’un débat européen partagé, chaque fois qu’un investissement étranger est réalisé dans les secteurs sensibles. Dans son discours de septembre 2017, J.C. Junker appelle de ses voeux un véritable saut fédéraliste : mécanisme de surveillance au niveau européen des investissements étrangers à risque, nécessité de retrouver les valeurs qui font le socle de l’identité européenne (cf Pologne et Hongrie). Elargir l’espace Schengen (Bulgarie, Roumanie)... et bien d’autres projets... [17]

La souveraineté technologique européenne constitue une des réponses à la crise de la Covid-19 [18] [19]. On ne peut nier un changement européen de doctrine, qui reste toutefois bien fragile, comme nous le verrons ci-dessous...

L’UNION EUROPEENNE SEMBLE ENFIN ENGAGEE SUR UNE VISION PLUS SYSTEMIQUE

Si l’on accepte la recherche d’une autonomie stratégique, à l’évidence les différents plans de la politique européenne doivent se recouper, que ce soit au niveau des arbitrages technologiques, du droit de la concurrence, de la fiscalité et du contrôle des investissements sensibles. Analyse de quelques dossiers.

1. Le Fonds européen de défense (FED, 2017) : l’ébauche d’une future Europe de la Défense ?

Face à la désorganisation du monde, l’Europe affiche une volonté plus importante de coopérer dans le domaine militaire. La diminution du nombre de militaires en Allemagne affaiblit plus encore l’OTAN. Mi juin 2020, la Commission vient d’accepter de financer 16 projets européens. Les Ministres de la Défense de plusieurs pays (Allemagne, France, Espagne, Italie) veulent accroître la coopération pour la sécurité et la défense, en renforçant le FED, avec une première enveloppe de 200 millions d’euros. Le concept d’autonomie stratégique est désormais acceptable et même acceptée avec toutefois des nuances nationales... La recherche militaire n’est désormais plus exclue des dépenses communautaires, elle permet de renforcer la base militaire et industrielle (BITD européenne).

Avec les doutes déjà évoqués sur l’Alliance Atlantique, la perte de crédibilité de l’OTAN, les pays de l’UE affichent de nouvelles ambitions dans la prise en charge de leur sécurité. C’est inédit. Le retrait d’une partie des forces américaines d’Allemagne, l’évolution de la Turquie et la violation de l’embargo sur les armes à destination de la Lybie (mission européenne de contrôle Irini) en constituent des éléments déclencheurs. Le 16 juin 2020, l’U.E européenne relance les missions de sécurité interrompues par la crise sanitaire, en particulier l’opération au Mali et surtout la décision de financer ces programmes de recherche militaire, de défense paneuropéenne et de l’espace.

En octobre 2019, Thierry Breton avait réaffirmé vouloir créer une Europe de la Défense, assortie d’un budget propre et d’un Eurogroupe de défense. « L’Europe est la seule région où depuis dix ans les dépenses de défense ont baissé de 9 %, alors qu’elles ont bondi de 167 % en Chine, de 97 % en Russie, de 112 % en Arabie saoudite et de 39 % en Inde » avait-il évoqué en 2016. Ce fonds européen de la Sécurité et Défense permettrait de mutualiser une partie des dépenses importantes pour la cybersécurité, les gardes côtes, les opérations extérieures, les services de renseignements. De multiples bienfaits sont espérés : meilleure coordination entre les Etats, économies d’échelle sur les fabrications etc... Il permettrait au delà de récupérer une partie des dettes d’Etat : 720 milliards d’euros pour la France (premier contributeur à la défense européenne), 540 milliards pour l’Allemagne. Le ratio d’endettement chuterait alors notablement : 61 % du PIB pour la France, 55 % pour l’Allemagne...

Une partie du budget de la Commission va être consacrée à des dépenses militaires communes : recherche, développement, avancée vers une politique de défense commune. Ce choix qui correspond aussi à un sujet industriel, tend à plus profiter aux pays fabricants d’armes. Mais l’objectif supérieur est de limiter la dépendance vis à vis des Etats-Unis. Par exemple pour les drones européens, avec l’avion de combat franco-allemand, ou le char nouvelle génération.

Les premiers tests de cette volonté affichée d’accroître l’autonomie ne devraient pas tarder ! Très récemment, l’on connait quelques dossiers majeurs qui préoccupent le gouvernement français : Photonis (technologie nocturne) et la société Aubert et Duval. La cession du premier à l’américain Teledyne est suspendue. La deuxième est spécialisée dans les aciers haute performance, les matériaux de pointe essentiels pour la filière stratégique de l’aéronautique, le spatial, les moteurs d’avion. Elle est mis mise en vente par Eramet, rachetée par Safran ? On touche la question vitale des pépites technologiques de la BITD.

Eté 2020 : le budget européen de sécurité et de défense est ramené avec le plan de relance de 13 milliards à 7 milliards. L’armée de l’air française devient « armée de l’air et de l’espace ».

2. Une autonomie spatiale et aéronautique déjà bien engagée

A l’évidence l’aéronautique et l’espace constituent des enjeux industriels et de souveraineté majeurs. On connaît bien sûr l’avionneur Airbus, les drones, les lanceurs (Ariane 6), le projet d’avion à hydrogène... Toutes ces activités pour lesquelles l’Europe reste leader font travailler des entreprises liées à la souveraineté, au BITD, en particulier la French tech de souveraineté. C’est dans le secteur spatial que l’objectif de l’autonomie est peut être le plus affirmé. La France va moderniser le port de Kourou. Le spatial est désormais rattaché au Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance

L’Agence spatiale européenne (Esa) s’engage sur la construction d’un vaisseau spatial (Spacerider). [20]
Les entreprises du Royaume-Uni post-Brexit sont évincées de Galileo. Début juillet l’Etat britannique a racheté 45% de OneWeb, une société de réseau de satellites en orbite basse.

Juin 2020 : Thierry Breton décide d’accélérer l’Europe spatiale (Ariane 6) face à la Chine (1er alunissage) et les Etats-Unis (SpaceX), dans le domaine des lanceurs et de la communication par satellite. Il propose la création d’un incubateur européen pour l’espace. L’Europe peut accroître sa souveraineté spatiale grâce au lanceur Ariane et Galileo (concurrent du GPS américain). De nouveaux satellites Galileo sont prévus pour fin 2024. Les 22 Etats membres de l’Agence spatiale européenne ont lancé fin 2019, un programme d’une quinzaine de milliards. Pour ces technologies, la France est en pointe [21]. Elle participe également à de multiples missions : Station spatiale internationale (Gateway), nouveau projet de station orbitale lunaire, mission Exomars, mise en orbite de LISA et mission Athena.

Thales et Alenia Space (coentreprise franco-italienne, domaine des satellites) ont pris la tête d’un consortium européen pour développer le programme PROMISE (lancé début 2020) dans le but d’atteindre une indépendance technologique pour les missions spatiales. La question des micro-puces électroniques en est l’un des axes sensibles.

Mais l’Union n’est pas au bout des valses hésitations. Où faut-il placer le curseur de la souveraineté nationale ? Une souveraineté presque nécessairement européenne sur les grands programmes pour des raisons financières et les économie d’échelle. Une question qui renvoie à l’attente et à la collaboration de pays toujours soucieux de leur autonomie.

3. Le Projet Gaia-X : où la marche incertaine vers une future souveraineté numérique

« L’extraterritorialité du Cloud Act est un pied de nez des Etats-Unis au monde ! » Jean-Noël de Galzain. Les Gafam sont les grands gagnants de la crise sanitaire

Gaia-X est né officiellement le 4 juin 2020. C’est probablement le projet le plus systémique, au coeur des enjeux de souveraineté par sa dimension industrielle et de service, des logiques de puissance et des questions de sécurité. Gaia-X tente de s’insérer entre deux écosystèmes puissants existants (chinois et américain) [22].

Toutefois, le débat sur le Cloud européen n’est pas terminé, comme on le verra par exemple ci-dessous, avec le fait d’avoir confier (dans un premier temps) le traitement des données sanitaires à Microsoft, voire aussi de nouveaux reculs de souveraineté. Si la doctrine est nouvelle, elle doit encore irradier les élites, les hauts fonctionnaires etc... Elle est susceptible d’allers retours et de contradictions majeures ! La question fiscale est aussi bien sûr l’une des dimensions du dossier.

L’ancien projet Andromède (nom de code du cloud souverain) est lancé en 2011 avec une collaboration entre Orange, Thales et Dassault systèmes. A la suite de désaccords, il sera suivi par le projet Cloudwatt en 2012. Le cloud à la française (cloudwatt) sera arrêté à son tour le 1er février 2019, malgré le partenariat entre l’Etat français, Orange et SFR entre autres. Manque de clients, de volume etc... Une fin qui rappellera peut-être aux spécialistes la question du Minitel...

L’idée de Gaia-X peut sembler modeste au départ par rapport aux enjeux. Il s’agit de créer un nouvel écosystème pour éviter que les clients soient enfermés dans un prestataire unique - éviter un seul fournisseur et lutter contre l’extraterritorialité américaine - Le Cloud Act américain est une loi fédérale [23] donnant à l’Etat l’accès aux informations stockées sur les serveurs situés aux E.U ou à l’étranger..... . Les deux ministres de l’économie (français et allemand) viennent de lancer ce programme de conservation de notre souveraineté sur les données avec une disponibilité théorique en 2021. C’est le début timide d’un Cloud européen à partir d’une initiative des deux pays [24]. On connaît la formulation de Peter Altmaier, ministre allemand de l’économie, qui parle de « l’Airbus du cloud ».

La vocation de Gaia-X, au moins à court terme, n’est pas d’être un concurrent des Gafam ou d’Alibaba, mais de fournir un label promouvant « les principes d’ouverture, d’interopérabilité, de transparence et de confiance » pour le respect de la vie privée. Comme la quasi totalité des données est aujourd’hui stockée auprès des serveurs américains, il s’agit de construire un écosystème de confiance et de portabilité [25]. Gaia-X fournira ainsi une architecture européenne sécurisée pour les données sensibles des entreprises, leur permettant de passer sur le cloud européen, par exemple en cas de rachat d’une entreprise nationale par une entreprise étrangère. De très nombreuses entreprises sont concernées par le projet : Orange, Deutsche Telekom, Bosch, Siemens, Atos, OVHcloud, Scaleway (filiale Cloud d’Iliad), BMW…

Juin 2020 : un nouveau coup de théâtre pour la taxation internationale du numérique. Les Etats-Unis claquent la porte des discussions engagées à l’OCDE depuis 2019. Bruno Le Maire, ministre français de l’économie et des finances déclare : « Nous avons reçu, avec mes homologues italien, espagnol et britannique, une lettre du secrétaire au Trésor S. Mnuchin qui nous confirme que les Etats-Unis ne veulent pas poursuivre les négociations à l’OCDE sur la taxation digitale ». A la fin janvier 2019, 137 pays s’étaient engagés sur un accord de taxation des FMN numérique d’ici fin 2020, pour moderniser les règles fiscales et les adapter à une économie défrontiarisée et numérique. En taxant mieux le numérique, on touche l’optimisation fiscale des Gafa. Début juillet 2020, est élu à la direction de l’Eurogroupe, Paschal Donohoe, homme politique irlandais qui s’est toujours opposé à la création d’une taxe européenne sur les Gafa.

Au plan français, c’est l’Inria (Institut national de recherche en informatique ) qui constitue le bras armé de l’État pour la souveraineté numérique. Il a défini ses priorités : intelligence artificielle, sécurité informatique et quantique, en développant des logiciels et des algorithmes liés à l’I.E.

L’Etat français, dans son souci de protéger la French tech des prédateurs chinois et américains, vient de lancer un plan de 1,2 milliards d’euros. La deep tech quant à elle, recouvre les technologies les plus avancées (intelligence artificielle, médicaments bioproduits, cyber-sécurité, informatique quantique) qui propose des produits ou services dits de rupture (lutte contre le cancer, réchauffement climatique...). La deep tech renvoie à des enjeux majeurs : protection des données et des starts-up, protection de la propriété intellectuelle et industrielle, base de données, grandes entreprises. Plusieurs observateurs réclament une Agence européenne de la deep tech, comme hier la Communauté de l’acier et du charbon d’hier (CECA). Une agence qui pourrait probablement être aussi un symbole utile de mobilisation des énergies européennes.

Fin juin 2020, Bernard Benhamou  [26] déclarait : « il est difficile de lancer Gaia X et de confier nos plus précieuses données à un cloud US ! » Il évoque également le cas de la société américaine Palantir (Big data) qui travaille pour les services de renseignements américains, à laquelle nos propres services de renseignements ont confiés des données hautement sensibles ! [27]

Début juillet 2020  : nouveau coup de théâtre. Le secrétaire d’Etat chargé du numérique décide finalement de lancer un appel d’offres pour héberger les données médicales du Health Data Hub. La solution Azure de Microsoft avait été sélectionnée dans un premier temps (données de santé soumises au Cloud Act américain). Il existe une possibilité de parvenir à une solution souveraine avec des entreprises françaises et européennes permettant en outre de privilégier la French tech et l’U.E.

Le 10 juillet 2020, pour lutter contre la décision française sur la taxe Gafa, l’administration Trump annonce de nouvelles mesures de rétorsion pour 1,3 milliards de dollars "en réponse à l’adoption par la France d’une taxe sur les services numériques qui cible injustement les entreprises de technologie numérique américaines » [28]. Des mesures qui sont suspendues pour 180 jours, en attente d’un accord... A lire : [29] [30]
La justice européenne vient d’annuler la décision sommant Apple de rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande [31].

4. La question de la 5 G : une confrontation de puissances

Depuis mai 2019, Huawei n’a pas le droit de s’équiper de technologies américaines y compris à l’étranger si elles ont été conçues par des savoirs-faires américains. Au delà, il y a toute une bataille de puissances sur les enjeux en termes de normes.
Seuls Nokia, Ericsson et Huawei peuvent actuellement fournir les équipements pour la 5G. L’Agence nationale de sécurité des systèmes informatiques envisage de restreindre les autorisations d’exploitation des opérateurs qui s’équipent chez Huawei (pour une durée entre 3 et 8 ans). Quant aux autres opérateurs, ils sont incités à s’équiper ailleurs. Les premiers concernés sont Bouygues Telecom et SFR/Altice qui pourraient demander des compensations financières. Face à cette décision, la Chine a réagi en dénonçant les pratiques discriminatoires. L’Angleterre également veut diversifier ses équipements, évoquant les questions de sécurité nationale, sous pression américaine.

La stratégie de Huawei - et donc de l’Etat chinois - est au coeur des enjeux de puissance, ce qui en fait un affrontement systémique. La stratégie de conquête et de puissance passe par la maitrise des infrastructures, la normalisation des outils, les prêts et la création de puissances dépendantes de ces systèmes. En somme une stratégie de coûts redoutables, une politique étrangère et la construction de toute une structure informationnelle etc... On reconnaîtra la volonté de la Chine de devenir une puissance totale autour d’un modèle chinois, très éloigné des valeurs occidentales. Juillet 2019, Pékin met en garde Paris sur la question de Huawei. A lire : [32] [33]

UN DROIT DE LA CONCURRENCE A REFORMER, DES DISTORTIONS A CONTROLER ! Le durcissement du contrôle des investissements sensibles

Margrethe Vestager : « Il est très important de bénéficier d’un outil robuste de filtrage des investissements étrangers ». « Il n’y a pas de contradiction entre la politique industrielle et la politique de la concurrence". Thierry Breton en mars 2020 : toutefois, il ne faut pas confondre « politique industrielle » et « stratégie industrielle ». La Commission n’a pas vocation à mettre en œuvre une politique industrielle, car jamais elle ne se substituera aux entreprises. Le Commissaire chargé du marché intérieur a défini : « notre stratégie industrielle pour 25 ans » sur 3 dimensions majeures : pacte vert, numérisation et droit de la concurrence revisité. On peut noter des inflexions vers les champions nationaux et européens. On se rappelle encore le refus de la fusion Schneider-Legrand en 2002 et les critiques sur le rejet de celle entre Alstom et Siemens. La digitalisation de l’économie a probablement changé la donne et fait progresser un tant soi peu l’empirisme. On lira la Note du CAE de mai 2019 qui tempère largement les critiques portées (Concurrence et commerce. Quelles politiques pour l’Europe ?) [34]. Voici quelques nouvelles orientations :

- Une volonté de relancer la politique des filières. L’objectif est de combler « les trous dans la raquette » ce qui devrait enfin permettre de favoriser l’émergence de leaders industriels européens dans les secteurs technologiques-clés (santé, batteries, microélectronique, hydrogène, cyber-sécurité, calcul à haute performance, technologies bas carbone, mobilité connectée et autonome, Internet des objets). Il s’agit de développer le budget pour renforcer la recherche et l’innovation en Europe, ainsi que le développement de véritables projets de rupture. Les technologies-clés [35] permettront de répondre à deux défis : assurer la souveraineté numérique de l’Europe et favoriser sa ré-industrialisation avec des solutions innovantes. Il y a bien sûr également toute la question des relocalisations des chaînes de valeur qui passe largement par la diversification des fournisseurs, des retours en France ou en Europe d’entreprises stratégiques. Certaines études ont déjà proposé des pistes. L’étude de Sémaphores et du professeur E.M. Mouhoud [36] a identifié quelques types de relocalisation : « relocalisations d’arbitrage opérées par de grands groupes, relocalisations de retour (consécutives à des délocalisations), relocalisations de développement compétitif pour approfondir les positions sur les marchés extérieurs ».
En résumé, certains relocalisations seront de souveraineté ou économiques. La reconstruction de filières stratégiques pourrait être aussi l’occasion d’aller vers une neutralité des comptes commerciaux. [37] On ne voit pas comment de tels objectifs pourraient être atteints sans un fort interventionnisme de l’Etat !

- La politique de la concurrence. On sait qu’elle fait partie depuis longtemps des plus décriées. Le mot politique industrielle, souvent associé au néo-colbertisme français a longtemps été tabou. Lors de l’affaire Alstom/ Siemens, les deux ministres de l’économie français et allemand, avaient souhaité la refonte du Droit de la concurrence face au défi des pays étrangers. Au sens de la doctrine libérale, celle-ci doit favoriser les prix bas et l’innovation. Mais la notion de prix pertinent n’est pas équivalente selon les secteurs, ainsi qu’avec un monde ouvert. Il est possible de soutenir à la marge certains projets d’intérêts européens communs. Ira-t-on plus loin ? Des avancées incertaines qui restent à consolider, des changements de doctrine à confirmer, plus de cohérence entre politique de concurrence et politique industrielle à trouver.

- Une nouvelle détermination solidement affichée : instaurer un cadre européen de filtrage des investissements sensibles. Plusieurs pays de l’Union ne possèdent pas jusqu’alors de législation. Plusieurs étapes importantes sont mises en route : le Parlement européen a défini en 2019 un cadre harmonisé pour filtrer les investissements étrangers. En avril 2020, la Commission encourage la mise en place de ce cadre en particulier dans les pays où il n’existait pas. Pour la France, la loi Pacte [38] avait déjà renforcé le contrôle des investissements stratégiques en élargissant le champ d’application [39] et en abaissant le seuil de contrôle à 25 % des droits de vote, en renforçant les sanctions en cas de non respect de la procédure d’autorisation. Plus récemment, B. Le Maire a placé la borne de surveillance à 10 % d’ici la fin de l’année 2020....

Pour l’U.E, les entreprises étrangères hors Union, désirant acquérir une participation de plus de 35 % dans des entreprises des Etats-membres (avec un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros), devront au préalable informer la Commission européenne si elles ont bénéficié d’une aide d’Etat de plus de 10 millions d’euros. La Commission pourra appliquer des sanctions : arrêt de l’opération, cessation d’actifs. « Les entreprises étrangères déjà sur le territoire et bénéficiant de plus de 200000 euros sur 3 ans devront informer la Commission ». [40]

Dans les prochains mois ou les prochaines années, le contrôle des opérations de croissance externe en Europe, risque ainsi d’évoluer autour d’une triple tendance : consolidation autour des champions européens, interventionnisme plus marqué des Etats (nationalisations ? Prises de contrôle étatiques d’entreprises stratégiques ?), interdictions plus fréquentes des investissements par des entreprises hors UE. Cette franche rupture risque d’entrainer des tensions avec les partenaires commerciaux hors U.E, elle devra tenir compte du droit international bilatéral ou multilatéral (OMC, OCDE).

- Une évolution de la fiscalité avec peut-être la création d’une taxe carbone (projet pour 2021) et d’un mécanisme d’ajustement aux frontières qui permettraient de « changer » de business model". Un outil qui irait dans le sens d’un rééquilibrage partiel de la concurrence inégale en tenant compte des différences d’avancée des pays hors de l’Union en termes de lutte contre le réchauffement climatique, favorisant la prise en compte environnementale. Cette taxe fournirait des ressources à la Commission en vue du remboursement des prêts massifs contractés pour la relance. Il deviendrait possible d’aller au delà des mesures anti-dumping et des subventions.

Un assez fort consensus est désormais acquis entre les Etats membres pour protéger leur industrie. Dans ce cadre, les relocalisations favoriseraient l’est européen, en raison de ses avantages en termes de coûts. On connait déjà le cas de l’automobile. Routes de la soie, rachat du port du Pirée (Cisco) en 2008, dépendance sanitaire et numérique... les sujets d’inquiétude ne manquent pas. La Commission prépare une directive pour 2021 permettant de soumettre les entreprises étrangères à des règles comparables à celles des entreprises européennes, concernant les aides d’Etat. Il s’agit de lutter contre les distorsions de concurrence en général et les entreprises chinoises subventionnées en particulier.
L’avenir proche dira si l’Europe décide enfin de sortir de sa dépendance dangereuse et si la volonté politique perdure. Mercredi 17 juin, la Commission européenne a présenté son livre blanc sur les mesures concrètes pour armer l’Union européenne face à la concurrence déloyale des entreprises aidées par des Etats étrangers sur le marché unique.
 [41]

Notes

[1Margrethe Vestager, Commissaire à la concurrence depuis le 1er nov. 2014, avait refusé la fusion Alstom/Siemens. En 2016, affaire Apple pour rembourser 13 milliards d’euros à l’Etat irlandais

[2Traité de Lisbonne : https://www.senat.fr/rap/r07-076/r07-0761.html La définition des objectifs de l’Union diffère de celle qu’avait retenue le traité constitutionnel sur trois points : la mention de la « concurrence libre et non faussée » disparaît ; le nouveau texte précise que l’« Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l’euro » ; il précise également que « dans ses relations avec le reste du monde, l’Union contribue à la protection de ses citoyens ».

[3IPCEI = Important project of commun european interest pour 8 milliards d’euros

[4mise en vente par Eramet

[5CETA en 2017, U.E et Vietnam début 2020, celui avec le Mercosur...

[6cf liaisons aériennes avec la Chine, North Stream 2 ...

[7Reconstitution d’une maison longue typique du début du Néolithique danubien, trouvée dans des palafittes. Ce type de construction est commun dans toute la région des terres noires du sud de la Hollande à l’ancienne Tchécoslovaquie

[9Forum international de la cybersécurité

[10Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information

[11Network and Information Security, promulguée en France en février 2018

[12loi de programmation militaire de 2013

[13juin 2019, Conseil de l’Union Européenne

[14adopté par le Conseil de l’Union le 7 juin 2019

[15fait partie de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) ainsi nommé jusqu’en septembre 2014

[16« Doter le ministère des armées d’un dispositif efficace couvrant l’ensemble des domaines de l’innovation et permettre l’émergence de nouvelles formes d’innovations et d’innovateurs. » F. Parly, ministre des Armées. Placée sous la responsabilité du Délégué général pour l’armement (DGA), l’Agence de l’innovation de défense (AID) fédère les initiatives d’innovation du ministère en assurant la coordination et la cohérence de l’ensemble des démarches d’innovation. Tout en poursuivant les travaux relatifs à l’innovation technologique sur le temps long, l’Agence est le capteur des innovations d’opportunité au bénéfice de tous les utilisateurs finaux quels que soient leurs domaines : conduite des opérations, équipements, soutiens, fonctionnement, administration.

[21lanceurs Ariane 6 et Vega, programme Copernicus : satellite d’observation de la terre face à l’urgence climatique

[23promulguée le 23 mars 2018

[24pour un nouveau standard et de nouvelles infrastructures pour l’hébergement des données dans le cloud

[25pour sortir du prestataire unique, avec une bande passante et un choix national

[26secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique et ancien délégué interministériel aux usages de l’Internet

[28services de Robert Lighthizer, représentant au Commerce

[34http://www.cae-eco.fr/Concurrence-et-commerce-quelles-politiques-pour-l-Europe
Sébastien Jean, Anne Perrot et Thomas Philippon mobilisent des travaux récents pour comparer les effets de la politique de la concurrence en Europe et aux États‐Unis et défendent l’idée selon laquelle l’Europe ne doit pas sacrifier sa politique de la concurrence mais se montrer plus exigeante pour mieux faire respecter les règles et défendre ses intérêts. " Si dans sa mise en œuvre, la politique de concurrence a été plus stricte en Europe qu’aux États-Unis, les rejets de fusions par la Commission sont toutefois extrêmement rares, tandis que les acceptations sans conditions constituent l’immense majorité des cas. Sur la période allant de janvier 2010 à décembre 2018, parmi les 2 980 opérations de concentrations notifiées à la Commission, 2 704 ont été acceptées sans conditions (90,7 %), dont 1 949 (65,4 %) en phase 1, et 156 opérations ont été autorisées sous conditions. Parmi ces fusions acceptées, certaines ont donné naissance à des champions européens de très grande taille

[35nanotechnologies, biotechnologies, photonique, intelligence artificielle, cyber-sécurité, greentech

[36réalisée à la demande de la DGCIS et la DATAR

[3822 mai 2019, décret du 31 décembre 2019

[39produits agricoles, R.D, presse, entreprises de biotechnologie...

[40Le règlement n°2019-452 du Parlement Européen, adopté le 19 mars 2019 et applicable à compter du 11 octobre 2020, établit un cadre au niveau de l’Union européenne, pour le filtrage des investissements directs étrangers réalisés au sein de l’Union européenne par des personnes physiques ou morales en provenance de pays tiers. Soulignant la compétence exclusive des Etats membres dans le domaine de la sécurité et rappelant que le règlement ne « restreint le droit de chaque État membre de décider de filtrer ou non un investissement direct étranger », le Parlement Européen a néanmoins souhaité les guider, tout comme la Commission européenne, et encourager un dispositif de coopération. Ils pourront, à cet effet, prendre en considération les effets de l’investissement « sur les infrastructures critiques, les technologies et les intrants essentiels pour la sécurité ou le maintien de l’ordre public, dont la perturbation, la défaillance ou la destruction aurait une incidence considérable dans un État membre concerné ou dans l’Union ».
https://capitalfinance.lesechos.fr/analyses/points-de-vue/controle-des-investissements-etrangers-vers-un-veritable-protectionnisme-europeen-1199488

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