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LE DOSSIER STX/FINCANTIERI. L’Etat à la manoeuvre

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LES MINES AU SERVICE D’UNE SOUVERAINETÉ DECARBONÉE. Par Didier JULIENNE

Ne pas répéter les erreurs de l’Ancien Régime

mardi 9 novembre 2021 Didier JULIENNE

Un titre paradoxal, pourtant... Dans ce texte, Didier Julienne (1) mobilise l’histoire longue pour analyser le lien entre économie et mines, au nom de l’intérêt général, jusqu’à la période contemporaine pour des structures productives en marche vers la décarbonation. Les enjeux sont fondamentaux : géopolitique des mines, risques de dépendance vis à vis des producteurs de métaux, type d’industrialisation et bien sûr questions environnementales. Le sujet des batteries de la voiture électrique en constitue une illustration symbolique.

(1) Didier Julienne est Président de Commodities & Resources. Il dispose par ailleurs d’une multi-expérience dans les métaux stratégiques et critiques. Nous remercions l’auteur pour l’autorisation de publication du texte de sa conférence d’ouverture lors de la 27e réunion des Sciences de la Terre à Lyon (mardi 2 novembre). Pour aller plus loin : http://didierjulienne.eu.

LES MINES AU SERVICE D’UNE SOUVERAINETÉ DECARBONÉE

Perte de souveraineté, dépendance vis-à-vis de métaux en provenance d’autres nations, désindustrialisation. Ces mots ne sont pas les éléments de langage français ou européen post covid-19 vis-à-vis de l’Asie et notamment de la Chine.

Ces mots sont révolutionnaires, ils sont ceux des législateurs de la Révolution française. Avant l’apparition de Napoléon et son code minier de 1810, 20 ans plus tôt, dès 1790 ils firent le diagnostic suivant : « si vous abandonniez l’exploitation des mines… vous mettriez plus que jamais l’Empire français sous la dépendance des étrangers pour les métaux de première nécessité… … les métaux augmenteraient de valeur, les manufactures languiraient, notre industrie serait détruite, notre numéraire passerait chez nos voisins (pour payer nos importations). Les mines… doivent rester à la disposition de la nation ». Leur objectif fut de réorganiser l’activité minière dans le but de préserver et développer en aval l’industrie.

Nos gouvernements sont-ils « Ancien régime » ?

Pourquoi un tel diagnostic en 1789 ?

Parce que de Dagobert en 635 qui accorda une redevance en plomb à l’abbaye de Saint Denis jusqu’à 1789, l’ancien régime fut une succession de quatre cycles miniers désastreux.

Au début la mine française connut une période de liberté sans limites. Aucune législation ne régentait le travail minier, bien que la concession concédée par Dagobert en 635 à l’abbaye de Saint Denis fut suivit par Charlemagne qui léga par testament quelques mines à ses fils en 786 et qu’en 1321 les mines devinrent officiellement de droit royal et domanial. Le pouvoir laissait en effet aux mineurs une liberté sans limites d’installation et d’exploitation sans rendre de compte.

Ce n’est que sous Charles VI en 1413 et jusqu’à François 1er en 1547, qu’en contrepartie de la protection des ouvriers par les troupes du roi, les mineurs payèrent au souverain une redevance équivalente à 10 % de leurs revenus et dédommagèrent les propriétaires des terrains minés. Le résultat de cette première période de grande liberté, mais sans méthode, fut des mines dévastées plutôt qu’exploitées.

Pour réparer les excès, d’Henri II en 1548 jusqu’au milieu du règne d’Henri IV en 1601, pendant 53 ans l’exploitation minière fut confiée à un Surintendant royal des mines, une sorte de ministre des Mines. Le roi percevait 10pct du revenu net de l’or et l’argent et 10pct des revenus bruts des autres métaux et minerais. Mais le résultat de ce privilège exclusif se solda par un despotisme économique aux résultats, là encore, désastreux.

La troisième phase, sous Henri IV, vit paraître le régime de concession administrative sous l’autorité d’un Grand Maître des Mines. Les mines de charbon étaient abandonnées à la noblesse et les autres métaux connaissaient les prémices du régime des concessions, car nul ne pouvait ouvrir de mine d’autres métaux sans l’accord d’une nouvelle administration représentée par un Grand Maitre des mines. Mais cette nouvelle dualité liberté et concessions ne fit pas l’unanimité et se perdit sous Richelieu et Mazarin.

Puis le quatrième cycle jusqu’en 1789 alterna de manière brouillonne les trois régimes de liberté sans limites, du privilège exclusif du surintendant puis de la concession administrative. Un nouveau surintendant en 1670, mais ce régime était abandonné 28 ans plus tard en 1698 au profit d’une nouvelle liberté sans limites accordée aux propriétaires du foncier ; 24 ans plus tard en 1722 revint le régime du Surintendant, mais pour 22 ans seulement puisqu’en 1744 le régime des concessions réapparaissait.

Si bien qu’avant la révolution, la mine avait accumulé de nombreux désavantages : inorganisation de l’État, prévarication, lacunes de méthodes et de connaissances minières. De son côté le droit minier était un mélange stérile où s’entrelaçaient le propriétaire du foncier, le propriétaire premier exploitant du gisement ou le propriétaire concessionnaire. L’ensemble provoqua : « une grande négligence dans la recherche des mines, une exploitation mal dirigée, une concurrence et des divisions entre les propriétaires, qui jointes au défaut de facultés et connaissances ont occasionné d’abord la dévastation des mines entreprises, et ensuite leur abandon total ». En outre, la non-industrialisation avait fondé des fortunes colossales aux dépens de la nation, de la même manière qu’à notre époque la désindustrialisation aura enrichie à outrance.

L’intérêt général et les mines

Les révolutionnaires conclurent que l’intérêt général national devait être guidé par l’exploitation minière dirigée par l’État à l’aide de trois principes : « Nul ne peut s’opposer à l’intérêt général, l’intérêt général exige que toutes les richesses du pays soient mises en valeur, nul particulier ne peut être propriétaire d’un sous-sol dont l’exploitation lui est impossible et dont l’exploitation est nécessaire à l’intérêt général ». Prenant la métaphore du champ en friche qui doit être cultivé afin de nourrir la nation, les révolutionnaires concluaient que l’intérêt général national imposait d’exploiter des mines en France de façon à ne plus importer de ses voisins mieux organisés des métaux détenus dans propre sous-sol. Ils organisèrent l’exploitation minière à l’aide du régime des concessions et d’un corps des mines qui apportât en 1789 méthodes et connaissances, ils différencièrent le droit du sol et celui du sous-sol et s’appuyèrent sur un service d’ingénieurs des mines compétents. C’était en France le point de départ de l’expansion minière du 19ème et du 20ème siècle, notamment dans le charbon et le fer.

Des parallèles temporels sont évidentes entre ce passé français d’une liberté minière sans limites avec les ruées vers l’or dans l’Ouest américain ou bien lorsqu’une exclusivité est offerte à un surintendant contemporain, par exemple des sociétés minières étatiques.

Autre concordance des temps entre l’appel au nationalisme des ressources de 1789 et certains pays producteurs contemporains. Ainsi, l’Indonésie copie l’intérêt général de 1789 lorsqu’elle muscle depuis 2014 sa doctrine minière en exigeant une transformation locale de ses matières premières : huile de palme en produits agroalimentaires, bauxite en aluminium, nickel et cobalt en batteries pour véhicules électriques.

Cette rapide revue historique est une île éloignée qui illustre notre époque. Après une expansion d’un peu plus de 150 ans, le diagnostic de notre pays est celui d’un retour à un immobilisme minier déjà connu sous d’autres formes et pour d’autres raisons au cours de l’ancien régime. C’est donc une période propice pour repenser nos objectifs. Pourquoi les principes de 1789 n’y fonctionnent-ils plus ? Si la mise en valeur de la richesse du sous-sol français n’est plus d’intérêt général, pourquoi parlons-nous si souvent de souveraineté décarbonée ?

Pourquoi parler de souveraineté décarbonée ?

L’intérêt général de 1789 n’est plus celui de 2021 ? Il y a 232 ans c’était la propriété du sous-sol, et elle freinait la production de métaux. Aujourd’hui c’est la décarbonation. Elle est l’intérêt général, car accélère la demande de métaux pour la transition énergétique, la production d’électricité, son transport, son stockage et sa consommation. Dans les deux cas, en 1789 comme en 2021, les mines sont en première ligne pour répondre à l’intérêt général.

Mais de nos jours, n’y a-t-il pas une opposition, une contradiction entre cet intérêt général et l’opinion publique ? Celle-ci est sous l’influence de stratégies du doute, anti-mine et anti-métaux, créées par les fake-news, notamment celle des « métaux rares », et promeut la stratégie de la ré-industrialisation par assemblage. C’est-à-dire décarboner en ne minant pas dans notre sol pour protéger notre environnement, mais laisser d’autres pays le faire, puis assembler des produits finis chez nous.

Cette stratégie est largement en marche. Regardons les difficultés d’ouverture de mines de lithium en Espagne, en Serbie ou l’échec de la réouverture de la mine de tungstène de Salau en Ariège. Constatons que les populations souhaitent certes une vie décarbonée non par une source de métaux proche de chez eux, mais lointaine et avec une première transformation outre-mer grâce à l’énergie de ces pays qui, même si elle peut être parfois décarbonée, est en crise en 2021 et provoque une inflation des prix des métaux de 50 % à 150 %.

La voiture électrique ciblée par les fake news

Prenons le sujet des batteries de la voiture électrique : des métaux lointainement transformés au pied de mines, par exemple en Indonésie, et ensuite assemblés dans des usines asiatiques établies en Europe. Malgré des astuces fiscales ou réglementaires, telles qu’ériger des barrières carbone aux frontières de l’Europe, une diplomatie inventive, des partenariats, etc. … sans nouvelles mines européennes dédiées, nous sommes en double dépendance de métaux de l’étranger d’une part et d’usines asiatiques en Europe d’autre part.

De plus, outre rater l’objectif de décarbonation nous ne serons plus souverains, puisque victimes de la consommation compétitive. C’est-à-dire qu’en cas de compétition entre différentes industries consommatrices, le producteur privilégiera toujours l’utilisateur le plus proche de ses propres objectifs stratégiques : son industrie nationale au détriment des exportations. Ainsi, la panne électrique géante chinoise de l’été dernier jusqu’au printemps prochain renchérit les prix des métaux, une consommation compétitive se met en marche. Les prix augmentent parce que la production métallurgie chinoise baissant, elle est réservée à la consommation chinoise. Si le consommateur continue de privilégier les coûts à la souveraineté, nos voitures électriques seront fabriquées en Asie. C’est d’ailleurs déjà le cas.

Transformons la métaphore du champ en friche de 1789. Notre vision politique d’une ré-industrialisation par l’assemblage au XXI siècle est une véritable stratégie de l’ingénieur pauvre incapable de transformer des matières premières locales. Elle serait comparable à une nouvelle doctrine vinicole française qui imposerait pour raison écologique que les appellations des vins de France, Champagne, Bourgogne, vins de Loire, coteaux du Lyonnais, vins de Provence, d’Occitanie ou du bordelais ne soient produits qu’à partir d’une vinification locale de raisins importés et non plus de vignes du terroir français. Je suis certain que nous serions rapidement d’accord sur le résultat commercial d’une telle stratégie et sur les pertes d’emplois et du savoir-faire d’une telle tragédie vinicole.

La réindustrialisation d’assemblage

Décarboner par la ré-industrialisation d’assemblage, sans la mine provoque des ravages industriels et sociaux dans les secteurs de la santé, des semi-conducteurs et demain dans l’automobile.

Notre politique, notre stratégie nationale et notre administration reflétant nos législateurs sont un mimétisme de celles de l’Ancien Régime parce qu’elle ne respecte pas l’intérêt général décarboné. Répétons le constat d’échec de 1790 : sans mines « vous mettriez plus que jamais l’Empire français sous la dépendance des étrangers pour les métaux de première nécessité… les métaux augmenteraient de valeur les manufactures languiraient, notre industrie serait détruite, notre numéraire passerait chez nos voisins (pour payer nos importations). »

Dernier drame, si la mine est définitivement interdite en France, que deviendront nos géologues, nos ingénieurs, leurs écoles et les entreprises métallurgiques qui les attendent ? Feront-ils toujours partie de l’intérêt général décarboné, ou bien au contraire sont-ils déjà tous d’accord pour disparaître ? Les exemples sont nombreux de jeunes diplômés géologues et ingénieur des mines qui font le bonheur de sociétés canadiennes et australiennes alors que leur formation fut payée par la France, ou bien qui sont recyclés dans les métiers qu’ils n’utilisent aucune de leur compétence parce que, comme me le disait l’un d’entre eux, « il faut bien remplir le réfrigérateur ».

Refaire 1789 en 2021 et commencer par réparer

Tout comme les hommes de 1789 visaient souveraineté et industrialisation, le diagnostic de 2021 fait face à nos réalités minières hexagonales et aux présidentielles de 2022. Le moment est donc intéressant pour fixer cinq objectifs.

Première réalité, reconnaissons que dans les esprits, la mine en France c’est Salsigne, elle fait peur. Replacer la mine au centre de l’intérêt général et de l’industrie c’est commencer par réparer : faisons nos preuves, nettoyons tous les Salsigne de l’hexagone. Nous en avons les compétences et dans le cadre de l’économie circulaire ces opérations seront rentables.

Deuxièmement, libérons l’administration de ses carcans. Par exemple, est-il normal que l’autorisation administrative de deux forages identiques demande un délai administratif de deux mois pour une exploration géothermique, mais souffre d’un délai de deux ans pour une exploration minérale ?

Ensuite, puisque l’intérêt général décarboné des pays producteurs privilégie un nationalisme des ressources indispensable à leur industrialisation, moins de métaux seront disponibles pour les pays consommateurs. La conclusion est logique, nous devons augmenter chez nous la disponibilité des métaux par de nouvelles mines souterraines, l’écoconception et le recyclage.

Quatrièmement, la mine souterraine n’est plus celle de Zola, les anciennes méthodes ont blessé, mais les critères environnementaux miniers modernes sont compatibles avec notre territoire densément peuplé. Inversement, c’est au titre de cette crédibilité que nous devons exclure la folie des mines sous-marines, car leur impact sur la biodiversité est encore inconnu, non maîtrisé et donc incompatible avec nos nouvelles normes d’exploitation responsable.

Enfin, les nouveaux plans d’exploration et de production qui replaceront la mine au centre de l’intérêt général de décarbonation doivent sélectionner les métaux réellement utiles et laisser les autres sous terre. C’est-à-dire que nous avons moins besoin de l’or de la Guyane, mais plus du tungstène des Pyrénées ou du Tarn, mais également plus de cuivre, plus de bauxite, plus de titane ou de lithium. Tous sont répertoriés dans le sous-sol hexagonal si peu exploré, et ils seront peut-être utiles aux nouvelles chimies des batteries, dont celle à électrolyte solide.

En conclusion, si les législateurs de 1789 nous visitaient aujourd’hui, ils approuveraient la concordance entre leur diagnostic et celui que je viens de vous livrer. En revanche, temporairement éblouis par nos connaissances et de nos compétences qu’ils n’avaient pas, ils seraient désenchantés que leur envie et leur volonté se soient chez nous évanouies.

C’est le plus important, retrouvons cette envie et cette volonté, l’histoire n’est pas terminée, ne renonçons pas.

Didier Julienne, le 5 novembre 2021

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