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LA DETTE CHINOISE DE DJIBOUTI. Par THIERRY PAIRAULT

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SIX MOIS AVANT LES ELECTIONS EUROPEENNES, L’ALLEMAGNE ET LA FRANCE DOIVENT FORGER LE DISCOURS D’UNE EUROPE PLUS GEOPOLITIQUE. Jeanette Süß

mercredi 6 décembre 2023 Jeanette Süß

Juin 2024 : élections pour désigner les députés au sein du Parlement européen et après ? Jeanette Süß (1) nous propose un article particulièrement documenté, qui va bien au delà du diagnostic habituel sur l’U.E (... qui se fissure avec le populisme, le désintérêt pour la chose européenne, l’apparition de nouveaux régimes illibéraux...), voire est prise au piège de dimensions (puissance et militaire) qu’elle avait laissées de côté avec « le plus jamais ça » et la philosophie kantienne de la paix. Une plus grande capacité d’action est nécessaire face aux enjeux des crises géopolitiques à sa porte et l’urgence d’enclencher une « transition environnementale juste » (Eloi Laurent).

En partant des situations politiques en Allemagne et en France, l’auteure pose de nombreux jalons sur les nécessaires réformes de l’Union : rôle de la Commission, place du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, processus de sélection pour le poste à la tête de l’Union européenne, démarche plus nuancée et adaptative pour l’élargissement avec garantie de sécurité (Balkans occidentaux, Moldavie, Ukraine)...

Les questions concrètes (élargissement des décisions à la majorité au Conseil, principe de rotation de la Commission, valorisation du principe de l’État de droit, réforme de la politique étrangère et de sécurité) supposent un dépassement de « l’entre-soi franco-allemand ». Initiative et responsabilité pour un nouveau projet et récit européen ! P.L

(1) Jeanette Süß est chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Elle travaille en particulier sur l’Union européenne et les relations franco-allemandes.

SIX MOIS AVANT LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES, l’Allemagne et la France doivent forger le discours d’une Europe plus géopolitique

Bien que l’Union européenne soit considérée par les citoyens de l’UE comme l’entité politique responsable de domaines tels que l’environnement, la défense ou la politique migratoire, elle joue toujours un rôle secondaire au niveau national. Cela devient particulièrement évident à travers le faible intérêt des médias nationaux. Cependant, un tel désintérêt est en contradiction avec la capacité d’action européenne, indispensable dans une époque secouée par des crises géopolitiques, où elle doit s’affirmer comme un acteur résilient à l’international.

Bien que la participation aux élections de l’UE ait augmenté ces dernières années, l’intérêt pour l’UE est relativement faible en France. Selon l’eurobaromètre de juin 2023, seulement 39% de la population française s’intéressent aux activités du Parlement européen, contre 56% en moyenne européenne et même 65% en Allemagne. La confiance dans l’UE n’est pas non plus meilleure, 55% des Français exprimant leur méfiance envers cette structure. Ainsi, la France se classe troisième après la Grèce et Chypre parmi les pays membres de l’UE les plus négatifs envers l’UE [eurobarometer 2023].

Laurence Boone, secrétaire d’État aux Affaires européennes, a récemment suggéré que seulement 2,5% (!) de la couverture médiatique concerne l’Union européenne et ses institutions. Il n’est donc pas surprenant face à cette indifférence, les slogans anti-européen trouvent un terrain fertile sur le plan démagogique.

La forte progression de l’extrême droite en Europe

Les victoires électorales des partis de l’extrême droite en Europe sont un phénomène croissant ces dernières années avec la percée de Geert Wilders aux Pays-Bas comme exemple le plus récent même si les résultats des élections en Pologne et en Espagne offrent des lueurs d’espoir. En Allemagne, l’AFD a dépassé le seuil symbolique des 20% ces derniers mois [le plaçant théoriquement dans les rangs des partis établis dit « du peuple »]. Au-delà des élections européennes, des élections régionales sont prévues en automne dans les Länders allemands de l’Est, à savoir en Brandebourg, Saxe et Thuringe, où l’AFD devrait obtenir des succès record. Force est de constater que les populistes de droite ne sont plus un phénomène propre à l’Allemagne de l’Est uniquement, comme on peut le voir dans les élections régionales passée en Hesse et en Bavière. L’extrême droite a pris pied dans toute l’Allemagne. Ce ne sont pas seulement les électeurs marginalisés sur le plan économique qui n’ont pas été socialisés de la même manière selon les standards démocratiques de l’Allemagne de l’Ouest qui sont enclins à soutenir l’AFD et à se détacher de l’UE. Les craintes du déclassement ainsi que les conflits identitaires, qui s’enflamment autour de la question de la limite de la capacité d’accueil de davantage de réfugiés en Allemagne, représentent des luttes de répartition entre les « citoyens ordinaires » et « ceux d’en haut ». En période d’inflation et d’insécurité, accentué par un contexte géopolitique instable, ces craintes peuvent être particulièrement bien exploitées par les partis populistes, tant de l’extrême droite que de l’extrême gauche. Présenter l’UE non pas comme une chance, mais comme la cause de divers problèmes, est une formule simple qui trouve un écho de plus en plus vaste [Manow 2023].

Alliances politiques incertaines

Il conviendrait de suivre l’évolution de la position européenne de La France Insoumise, dont l’alliance électorale NUPES est actuellement en crise en raison de son positionnement sur le conflit entre l’Israël-et la Palestine. Cependant, la cheffe du parti, Manon Aubry, s’est récemment exprimée en faveur d’une alliance avec le groupe social-démocrate S&D, auquel appartiennent également le SPD allemand et le Parti Socialiste en France. Une campagne électorale commune semble toutefois peu probable. La création opportune d’un nouveau parti à la gauche, voire l’extrême gauche de l’échiquier politique par Sahra Wagenknecht, juste avant le début de la campagne des élections européennes, témoigne de l’importance de ces élections pour le paysage politique national, bien qu’il reste à déterminer les positions exactes du parti sur l’Europe. En outre, il n’est pas encore prévisible dans quelle mesure la création de ce nouveau parti pourrait capter des voix d’électeurs de l’AFD, limitant ainsi potentiellement la montée en puissance de l’extrême droite. Une question similaire se pose pour le parti d’extrême droite Reconquête d’Éric Zemmour, qui n’est pas encore représenté au Parlement européen, mais qui a le potentiel de prendre des voix au Rassemblement National de Marine Le Pen. Ces évolutions ne sont pas encore incluses dans les projections actuelles de la répartition des sièges au Parlement européen (voir graphique). En Hongrie, bien que Viktor Orban puisse conserver son influence de 2019, son parti Fidesz reste toujours sans affiliation au sein de l’extrême droite du Parlement européen. Cela n’empêchera pas les autres acteurs de se positionner. Selon les dernières estimations d’Europe elects, le groupe Identité et démocratie (ID) dont font partie l’AFD et le Rassemblement national pourrait même devenir troisième force au Parlement européen et dépasser les conservateurs et réformistes (ECR) avec les Fratelli d’Italia de Georgia Meloni comme fer de lance [Euractiv 2023].

Ces dynamiques en cours entre les forces politiques situées aux extrêmes du spectre, tant à gauche qu’à droite, mettent en lumière des signaux alarmants quant à la santé de la démocratie européenne. Elles révèlent un paysage politique de plus en plus polarisé et fragmenté, ce qui ne fait qu’entraver davantage la capacité de l’Union Européenne à agir efficacement. Cette situation crée un climat d’incertitude et de tension, réduisant la marge de manœuvre de l’UE pour répondre de manière cohérente et unie aux défis complexes auxquels elle est confrontée. En outre, cette polarisation croissante menace l’unité et la solidarité européennes qui sont des éléments clés pour le maintien d’une démocratie forte et résiliente au sein de l’Union. Or, les défis auxquels l’UE doit faire face sont nombreux. Ils exigent justement une capacité d’action renforcée. L’aspiration de transformer l’UE en un acteur géopolitique, propulsée par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors de son entrée en fonction, est l’impératif du moment. Face à de multiples conflits aux portes de l’UE, sa capacité d’action gagne en importance. Cependant, dans ce domaine hautement politique qui touche directement à la souveraineté des États-nations, le processus d’européanisation tarde à se concrétiser malgré d’importants progrès ces dernières années, accélérés par les crises successives.

Dans ce contexte, le débat sur la réforme institutionnelle de l’UE en tant qu’acteur géopolitique est essentiel et a été abordé au plus haut niveau politique par la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock lors de la Conférence sur l’Europe à Berlin début novembre 2023. Même si l’agenda établi par Ursula von der Leyen en 2019 témoignait d’une vision particulièrement avant-gardiste, peut-on véritablement considérer qu’il incombe aux présidents de la Commission européenne de sculpter activement une politique étrangère européenne ? Cette question soulève le débat sur l’étendue des responsabilités et des pouvoirs attribués à la présidence de la Commission, notamment en matière de diplomatie et de relations internationales. Elle interroge sur la balance entre leadership visionnaire et respect des prérogatives institutionnelles dans l’élaboration de la politique étrangère de l’Union. Ne faudrait-il pas plutôt valoriser le rôle du le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ? Pour faire face à la situation internationale de plus en plus tendue, l’action extérieure de l’UE devrait être conçue de manière plus indépendante de la Commission. Cette dernière devrait se limiter à définir l’agenda législatif européen. Cela concerne tous les services diplomatiques impliqués, qui devraient être soumis à un service diplomatique commun, initialement sous l’égide du Conseil européen. Le Haut représentant gagnerait ainsi en visibilité puisqu’ayant un rôle revalorisé. Cependant, ceci n’est qu’un des nombreux débats sur les réformes institutionnelles auxquels l’UE doit faire face dans les mois à venir.

Quelle feuille de route pour les réformes institutionnelles ?

Les suggestions pour réformer les institutions européennes ne manquent pas : Le Comité des affaires constitutionnelles du Parlement européen, un groupe d’experts franco-allemands ainsi qu’un rassemblement de personnalités européennes éminentes ont présenté dans un « manifeste » leurs recommandations pour modifier les traités de l’UE.

Après que le groupe d’experts ai présenté ses propositions à Bruxelles au Conseil des affaires générales, les chefs d’Etat et de gouvernement devront s’accorder sur une ligne directrice commune lors du Conseil européen qui aura lieu le 14 et le 15 décembre. Dans une optique d’harmonisation des positions, la conférence sur l’Europe, organisée par le ministère allemand des Affaires étrangères le 2 novembre dernier, visait notamment à éviter l’impression d’un entre-soi franco-allemand du débat actuel. Preuve en est la participation de 17 ministres des affaires étrangères d’autres États membres de l’UE et des Balkans occidentaux. Néanmoins, il incombera principalement à l’Allemagne et à la France de forger de manière décisive ce débat. Dans ce contexte, un rapport d’un groupe de travail au sein de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) est actuellement en cours d’élaboration. Ce rapport, ayant un caractère contraignant, devrait servir de guide pour les deux gouvernements. Outre les questions concrètes (élargissement des décisions à la majorité au Conseil, principe de rotation de la Commission, valorisation du principe de l’État de droit, réforme de la politique étrangère et de sécurité, listes transnationales, pour ne citer que quelques sujets), un alignement franco-allemand devrait surtout viser à établir une offre aux pays candidats à l’élargissement des Balkans occidentaux, de la Moldavie et de l’Ukraine. Pour ce faire, s’accorder sur une approche d’intégration plus graduelle est la prochaine étape à suivre.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la position française par rapport à un futur élargissement s’est nettement rapprochée de la position allemande. Après l’opposition de la France en 2019 quant à l’ouverture des négociations d’adhésion pour l’Albanie et la Macédoine du Nord, l’élargissement de l’Union Européenne est désormais perçu comme une nécessité géopolitique au sein de la classe politique française. Avec sa proposition de la Communauté Politique Européenne, Emmanuel Macron agi de façon disruptive en redéfinissant le débat sur l’idée d’une Europe à géométrie variable. En revanche, la position allemande reste très attachée au concept d’une Europe fédérale et donc d’une union politique sans différentiation en son sein. Mais ce concept trouve traditionnellement peu d’écho dans la politique européenne française, comme l’a récemment souligné la secrétaire d’État aux Affaires européennes, Laurence Boone [Laurence Boone 2023]. Cependant, avec le débat mené depuis environ 1 an et demi sur le cinquième cycle d’élargissement, la position allemande semble de plus en plus converger vers la position française. La tendance s’oriente manifestement, du moins dans le discours, vers une stratégie progressive. Cette orientation marque un écart significatif avec l’approche précédente, plus tranchée, qui se basait sur intégration totale des pays candidats dans l’UE au moment venu. Cette évolution reflète une prise de conscience de la complexité des enjeux liés à l’élargissement en favorisant une démarche plus nuancée et adaptative. Il est dès lors question de reconnaitre et prendre en compte les diversités et les spécificités de chaque pays candidat.

Concrètement, cela suppose de définir des garanties de sécurité, donner un accès au moins partiel au marché intérieur ou bien octroyer le statut d’observateur au sein du Conseil pour un pays candidat. A condition qu’il s’aligne sur la politique étrangère comme l’a récemment proposé le ministre des affaires étrangères de la Macédoine du Nord, Bujar Osmani. Outre l’offre politique à apporter aux pays candidats, frustrées par la longueur du processus, une approche graduelle de l’intégration permettrait également d’assurer l’acceptabilité d’un élargissement pour les citoyens des pays membres de l’Union européennes. Ces derniers appréhendent partiellement cette reconfiguration politique, qui sera de surcroit dans certains pays comme la France, conditionnée à un référendum. Un élargissement du type « big bang » est vu avec méfiance par une majorité des peuples européens comme le souligne un sondage du think tank européen ECFR [Bouras/Morina 2023]. Néanmoins les avis restent mitigés concernant les tenants et aboutissant d’un futur élargissement quant à la politique budgétaire ou le maintien de l’état de droit, jugé pilier fondamental de l’Union politique.

En tout cas, il est impératif de définir une feuille de route commune aux états membres de l’Union européenne. En effet, les idées sur ce qui est compris par « graduel » en termes d’octroi de droits et de dispositifs proposés varient considérablement [Macek 2023]. L’UE ne peut tout simplement pas se permettre de se perdre dans des débats institutionnels la concernant, face à une situation géopolitique semée de conflits et d’ingérence étrangère [Krpata 2023]. Cependant, les élections européennes entraîneront inévitablement un réajustement du pouvoir politique, avec le risque d’une capacité de réponse limitée aux crises et conflits mondiaux, tandis que l’UE sera principalement accaparée par ses propres affaires en interne.

Quel nouvel équilibre des pouvoirs après les élections européennes ?

Le processus de sélection pour le poste à la tête de l’Union européenne, connu sous le principe des Spitzenkandidaten, est déterminant pour la nouvelle orientation de la politique européenne suite aux élections en juin 2024 [Crum 2022]. Les partis européens doivent désigner leurs candidats pour ces postes avant les élections, les discussions internes sont déjà bien avancées mais loin d’être terminées.

Lors des dernières élections de 2019, ce principe a été négligé, en grande partie sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, qui ne voyait pas en Manfred Weber un candidat suffisamment compétent. Il souhaitait assurer le soutien, vis-à-vis des positions françaises, à travers Ursula von der Leyen pour la présidence de la Commission européenne. Il reste à voir si von der Leyen envisagera de se représenter, bien que sa réputation au sein de la Commission soit controversée en raison de son style de leadership perçu comme trop vertical. Sa présidence a été marquée par des succès indéniables, comme son engagement pour les relations franco-allemandes ou son ambition de transformer l’UE en un acteur géopolitique. On peut notamment lui attribuer un rôle clé dans la mise en œuvre des nombreux paquets de sanctions contre la Russie suite à sa guerre menée en Ukraine.

La bataille pour ce poste prestigieux s’annonce cruelle. La France, avec son commissaire actuel Thierry Breton, présente un acteur qui s’est fait un nom et sera un défi sérieux face à une nouvelle candidature allemande. Côté allemand, la femme politique des Verts, Thierry Reintke, est évoquée comme une successeuse potentielle si von der Leyen ne se représente pas. Cette confrontation n’est pas simplement une lutte pour le pouvoir interne ; elle a des répercussions bien au-delà des frontières de l’UE. En effet, la personnalité qui émergera comme leader influencera directement la capacité de l’Union à se présenter comme un bloc uni et influent sur la scène mondiale, particulièrement dans un environnement géopolitique marqué par l’incertitude et la volatilité. La façon dont l’UE naviguera et s’adaptera à ces défis dépendra en grande partie de la vision et de l’approche stratégique de ses dirigeants.

Jeanette Süß, le 6 décembre 2023

Références bibliographiques

Piotr Bouras/Engjellushe Morina : Catch-27 : Les réflexions contradictoires sur l’élargissement de l’UE, ECFR, Policy Brief, 3 novembre 2023.

Ben Crum : Why the European Parliament lost the Spitzenkandidaten-process, Journal of European Public Policy, 30:2, 193-213, 31 janvier 2022.

Laurence Boone : L’élargissement à venir ou la révolution européenne en chantier, Le Grand Continent, 28 novembre 2023.

Eurobarometer : Standard Eurobarometer 99 - Spring 2023 - Country Factsheets in English France.

Marie Krpata : L’Europe peut-elle faire l’économie d’une stratégie géologistique face à la Chine ? Etudes de l’Ifri, juin 2023.

Luckáš Macek : Pour une adhésion graduelle à l’Union européenne, Institut Jacques Delors, Europe dans le monde, Policy Paper n° 290, mai 2023.

Philipp Manow : Un pays profondément déstabilisé. Fragmentation politique et polarisation dans l’Allemagne d’aujourd’hui

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