HISTOIRE D’UNE RÉSILIENCE. Recension : Japon, l’envol vers la modernité, ouvrage de P.A. Donnet

Recension par Geopoweb de l’ouvrage : « Japon, l’envol vers la modernité. Entre tradition et renouveau. Illustrations de Cabu » Pierre-Antoine Donnet [1]. Editions de l’Aube, mars 2024

L’HISTOIRE D’UNE RÉSILIENCE

Pierre Antoine Donnet nous livre un ouvrage original, à l’évidence inclassable. Ce n’est pas « un écrit savant », pas un traité de géopolitique, pas une œuvre historique, non plus une analyse philosophique ou sociologique d’une société restée assez impénétrable pour les occidentaux. On y trouve un peu de tout cela. C’est plutôt un essai (parfois intime) sur un nouveau chemin emprunté par le Japon, que l’auteur aimerait voir aboutir pour assurer à ce pays une stabilité intérieure mais surtout extérieure. Le Japon peut-il devenir une force pacificatrice dans une zone au cœur de tous les risques d’avenir ? On pourrait penser que ce n’est pas un livre spécialisé au sens strict, une critique peut-être recevable si l’auteur avait choisi de construire une sorte d’idéal-type wébérien.

L’on pourra au contraire noter la richesse de l’analyse par la multiplicité de ses touches de couleur sombre et de lumière qui permettent de saisir un peu l’âme du pays et de sa population. C’est un écrit fait d’expériences, de rencontres et aussi d’émotions, sans s’exonérer aucunement des faits réels et historiques. Un pays en marche qui renouvelle à son rythme (souvent discret) son univers culturel et sa doctrine de défense.

C’est en somme l’histoire d’une résilience en cours du Japon, parfois malgré lui en raison du contexte géopolitique mais c’est aussi pour l’auteur celui d’une respiration personnelle par rapport à une Chine devenue menaçante. Le voyageur impénitent ne se contente pas d’idéaliser une culture ou une civilisation, une illusion souvent abondamment utilisée pour se protéger de ses propres insatisfactions. « Des entretiens avec des observateurs éclairés et mes propres expériences ont remis les pendules à l’heure ».

Les incursions sur l’histoire sont essentielles : ultranationalisme, viol de Nankin, effondrement de la natalité… Pierre-Antoine Donnet met en avant les heures sombres et douloureuses d’un pays sorti de la guerre expansionniste et du totalitarisme. Mais un pays reconstruit au lendemain des hostilités sans ressources naturelles, sur fond de nombreux accidents industriels et d’une pollution extrême… Un pays « récemment » éloigné de la féodalité qui a connu des désastres majeurs (nucléaire militaire et civil, tremblements de terre…).

L’auteur ne manque pas à travers de longues pages de rappeler plusieurs traits de la personnalité japonaise : culte de l’empereur, influence du bouddhisme, méfiance tenace vis-à-vis des étrangers… Japon, l’envol vers la modernité, c’est en dynamique le tableau d’un univers qui disparait (le monde des geishas, les anciennes certitudes de la tradition, le patriarcat en atténuation, l’insularité protectrice…) et celui d’une identité en construction pour un peuple soumis aux impermanences, en lien avec une nature fortement présente, mais souvent menaçante. Une nature à la fois salvatrice et corsetée sur un espace restreint pour une population nombreuse.

Une population « monolithique », qui ne se dévoile pas d’emblée, un peuple avec « l’art de rester dans l’univoque », besogneux, serviable… aux rizières si bien alignées, aux mega-cités si bien ordonnées et organisées… Mais l’auteur ne tombe pas dans la caricature occidentale habituelle des idées reçues, en dévoilant la complexité de ce qui se cache derrière cette réserve et la modération d’un peuple. On vous le laissera découvrir…

Le Japon de la modernité, c’est d’abord celui de la place nouvelle des femmes, des jeunes qui n’ont pas connu la guerre (mais qui s’enfoncent parfois dans un mal-être longuement décrit par des articles spécialisés). Des groupes sociaux qui ont aujourd’hui un rôle essentiel dans la transformation du pays.

Bien sûr en contrepoint, Pierre-Antoine Donnet nous fait apparaître l’autre face du miroir et son désenchantement personnel : celle d’une Chine éprise d’empire et d’hégémonie, de plus en plus étouffante et menaçante. « La Chine donne aujourd’hui le spectacle d’un pays conquérant qui ne fait guère mystère de sa volonté de devenir la superpuissance incontestée en Asie. Peut-être même du monde entier. La conséquence en a été une évolution d’un Japon de l’après-guerre »

La toile antithétique de ces deux pays Japon/Chine s’est un peu construite au corps défendant du Japon. Les caractéristiques d’une maturité nouvelle sont enclenchées : émancipation partielle de la tutelle américaine, construction d’un nouveau rôle géopolitique, question du nucléaire et plus généralement celle d’une mutation majeure. Une dynamique que la culture japonaise tente toujours d’associer à la permanence de la tradition mais épurée de ses mauvais traits… Cette nouvelle identité en construction, ce nouveau rôle géopolitique dans le cadre d’alliances élargies se présentent au Japon comme l’urgence d’un nouvel impératif. Comment concilier des changements indispensables tout en s’acclimatant avec le nouveau réalisme des relations internationales ?

Une modernité démocratique spécifique, une réalité vivante bousculée, une nouvelle doctrine nucléaire… Le syncrétisme est en cours, mais par définition personne ne connait encore ses aboutissements dans une zone au cœur de conflits potentiels majeurs et systémiques.

On retiendra une des lectures de l’auteur sur la culture des japonais : impermanence et immuabilité. « L’univers des Japonais est normé, tracé, sans surprise. Peu de place pour le doute en particulier sur la position du Japon dans le monde de demain, une situation à l’évidence, tout sauf saine dans ce monde où il est désormais demandé à chacun de choisir son camp ».

« Un embryon de prise de conscience est déjà là ». La conclusion de l’ouvrage est à fois désenchantée sur le monde réel pour l’auteur et quelque peu optimiste pour le Japon. Les contempteurs y verront peut-être des contradictions ou au moins une ambivalence sur cette nouvelle dynamique du pays.

Mais il s’agit au fond d’une oeuvre personnelle et sensible qui s’inscrit entre raison et émotion… « Cela fait bien longtemps qu’il ne me reste plus une once de naïveté. Mais l’émotion reste intacte … … La lucidité n’empêche cependant pas ma passion pour l’Asie de rester ancrée dans mon esprit ».

Geopoweb (PL), le 22 mai 2024