LES ÉTATS-UNIS ET LE PROTECTIONNISME. UNE CONSTANCE ET DES VARIANTES
PROCHE-ORIENT. 7 OCTOBRE : UN AN APRÈS… Ph. Mocellin et Ph. Mottet
POUR L’INDE, LA RUSSIE EST UN INVESTISSEMENT A LONG TERME. Olivier DA LAGE
LA CHINE ET L’ARCTIQUE. Thierry GARCIN
L’ESPACE, OUTIL GÉOPOLITIQUE JURIDIQUEMENT CONTESTÉ. Quentin GUEHO
TRIBUNE - FACE À UNE CHINE BÉLLIQUEUSE, LE JAPON JOUE LA CARTE DU RÉARMEMENT. Pierre-Antoine DONNET
DU DROIT DE LA GUERRE DANS LE CONFLIT ARMÉ RUSSO-UKRAINIEN. David CUMIN
ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC EMMANUEL LINCOT sur la Chine et l’Asie centrale. « LE TRÈS GRAND JEU »
ENTRETIEN AVEC HAMIT BOZARSLAN. DE L’ANTI-DÉMOCRATIE À LA GUERRE EN UKRAINE
ENTRETIEN EXCLUSIF - LE MULTILATERALISME AU PRISME DE NATIONS DESUNIES. Julian FERNANDEZ
L’AFRIQUE ET LA CHINE : UNE ASYMÉTRIE SINO-CENTRÉE ? Thierry PAIRAULT
L’INDO-PACIFIQUE : UN CONCEPT FORT DISCUTABLE ! Thierry GARCIN
L’ALLIANCE CHIP4 EST-ELLE NÉE OBSOLÈTE ? Yohan BRIANT
BRETTON WOODS ET LE SOMMET DU MONDE. Jean-Marc Siroën
LES ENJEUX DE SÉCURITE DE L’INDE EN ASIE DU SUD. Olivier DA LAGE
LA CULTURE COMME ENJEU SÉCURITAIRE. Barthélémy COURMONT
L’ARCTIQUE ET LA GUERRE D’UKRAINE. Par Thierry GARCIN
LA REVANCHE DE LA (GEO)POLITIQUE SUR L’ECONOMIQUE
UKRAINE. CRISE, RETOUR HISTORIQUE ET SOLUTION ACTUELLE : « LA NEUTRALISATION ». Par David CUMIN
VLADIMIR POUTINE : LA FIN D’UN RÈGNE ? Par Galia ACKERMAN
« LA RUSE ET LA FORCE AU CŒUR DES RELATIONS INTERNATIONALES CONTEMPORAINES »
L’INTER-SOCIALITE AU COEUR DES DYNAMIQUES ACTUELLES DES RELATIONS INTERNATIONALES
LES MIRAGES SÉCURITAIRES. Par Bertrand BADIE
LE TERRITOIRE EN MAJESTÉ. Par Thierry GARCIN
UNION EUROPÉENNE : UNE SOLIDARITÉ TOURNÉE VERS UN PROJET DE PUISSANCE ? Par Joséphine STARON
LES TALIBANS DANS LA STRATÉGIE DIPLOMATIQUE DE LA CHINE. Par Yohan BRIANT
🔎 CHINE/ETATS-UNIS/TAÏWAN : LE TRIANGLE INFERNAL. Par P.A. Donnet
🔎 LES « MÉTAUX RARES » N’EXISTENT PAS... Par Didier JULIENNE
🔎 L’ARCTIQUE DANS LE SYSTÈME INTERNATIONAL. Par Thierry GARCIN
LES PARAMÈTRES DE LA STRATÉGIE DE DÉFENSE DE L’IRAN. Par Tewfik HAMEL
🔎 LES NOUVELLES GUERRES SYSTEMIQUES NON MILITAIRES. Par Raphaël CHAUVANCY
L’INTERNATIONALISME MÉDICAL CUBAIN AU-DELÀ DE L’ACTION HUMANITAIRE. Par G. B. KAMGUEM
UNE EUROPE TRIPLEMENT ORPHELINE
LA DETTE CHINOISE DE DJIBOUTI. Par THIERRY PAIRAULT
CONSEIL DE SECURITE - L’AFRIQUE EST-ELLE PRÊTE POUR PLUS DE RESPONSABILITÉ ?
COMMENT LA CHINE SE PREPARE POUR FAIRE FACE AU DEUXIEME CHOC ECONOMIQUE POST-COVID. Par J.F. DUFOUR
GUERRE ECONOMIQUE. ELEMENTS DE PRISE DE CONSCIENCE D’UNE PENSEE AUTONOME. Par Christian HARBULOT
LA CRISE DU COVID-19, UN REVELATEUR DE LA NATURE PROFONDE DE L’UNION EUROPEENNE. Par Michel FAUQUIER
(1) GEOPOLITIQUE D’INTERNET et du WEB. GUERRE et PAIX dans le VILLAGE PLANETAIRE. Par Laurent GAYARD
La GEOPOLITIQUE DES POSSIBLES. Le probable sera-t-il l’après 2008 ?
« Une QUADRATURE STRATEGIQUE » au secours des souverainetés nationales
L’Europe commence à réagir à l’EXTRATERRITORIALITE du droit américain. Enfin ! Par Stephane LAUER
LA DEFENSE FRANCAISE, HERITAGE ET PERPECTIVE EUROPEENNE. Intervention du Général J. PELLISTRANDI
L’EUROPE FACE AUX DEFIS DE LA MONDIALISATION (Conférence B. Badie)
De la COMPETITION ECONOMIQUE à la GUERRE FROIDE TECHNOLOGIQUE
ACTUALITES SUR L’OR NOIR. Par Francis PERRIN
TRUMP REINVENTE LA SOUVERAINETE LIMITEE. Par Pascal Boniface
Une mondialisation d’Etats-Nations en tension
LES THEORIES DES RELATIONS INTERNATIONALES AUJOURD’HUI. Par D. Battistella
MONDIALISATION HEUREUSE, FROIDE et JEU DE MASQUES...
RESISTANCE DES ETATS, TRANSLATION DE LA PUISSANCE
Ami - Ennemi : Une dialectique franco-allemande ?
DE LA DIT A LA DIPP : LA FRAGMENTATION DE LA...
Conférence de Pierre-Emmanuel Thomann : La rivalité géopolitique franco-allemande (24 janvier 2017)
Conférence d’Henrik Uterwedde : Une monnaie, deux visions (20 janvier 2016)
Conférence de Bertrand Badie : Les fractures moyen-orientales (10 mars 2016)
LA RIVALITÉ CHINE/ÉTATS-UNIS SE JOUE ÉGALEMENT DANS LE SECTEUR DE LA HIGH TECH. Par Estelle PRIN
Guerre 4.0, la course à la puissance économique
jeudi 15 juillet 2021 EStelle PRIN
Loin est déjà le temps de la simple imitation et du rattrapage « passif »... L’Asie et plus particulièrement la Chine sont passées en quelques décennies « du riz à la puce et au vide (immatériel) »... Au cœur de cette formidable dynamique : la question des semi-conducteurs analysée par Estelle Prin à travers de multiples exemples-clefs (1).
A partir d’un rapide rappel historique du conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine (avec de multiples exemples), l’auteure analyse la dimension économique de la révolution digitale. La Chine, désormais sur la frontière technologique, tente de faire jeu égal et même dépasser les grandes puissances historiques...
Les enjeux : course à la puissance y compris militaire, relations entre l’Etat central, les entreprises et la politique, construction plus difficile d’un soft power ... La Chine est devenue en quelques décennies une puissance globale.
Il est désormais évident que le « level playing field » est une chimère (occidentale ?). La puissance économique, les possessions publiques de l’Etat chinois - à comparer aux « Etats pauvres occidentaux » aux ressources privatisées depuis des décennies (2), aux élites apatrides etc... sont une manière de poser les questions stratégiques et plus globalement celle de la souveraineté... L’analyse d’ Estelle Prin valide l’idée que la guerre économique ne se terminera pas avec Joe Biden.
L’enjeu suprême au delà de la question économique, est géopolitique par la compétition entre modèles (cf texte d’Aglietta et Guo Bai sur GeopoWeb)(3). Les démocraties occidentales sont désormais sur la défensive.
Leur rénovation nécessite de leur part une croissance plus inclusive, tout un nouveau projet démocratique pour sortir de la société de défiance (Yann Algan) (4).
(1) Estelle Prin est spécialisée dans la géopolitique de la Chine, et plus spécifiquement dans sa politique étrangère et les relations de rivalité systémique avec les Etats-Unis. Elle se focalise sur la dimension économique de la puissance chinoise et ses conséquences dans le monde
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/07/10/thomas-piketty-face-au-regime-chinois-la-bonne-reponse-passe-par-une-nouvelle-forme-de-socialisme-democratique-et-participatif_6087784_3232.html
(3) https://geopoweb.fr/?POST-CONGRESS-CHINA-New-era-for-the-country-and-for-the-world-Par-Michel
(4) Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg. La fabrique de la défiance… et comment s’en sortir. Albin Michel, 2012
LA RIVALITÉ CHINE-ÉTATS-UNIS SE JOUE ÉGALEMENT DANS LE SECTEUR DE LA HIGH TECH
Les relations entre Beijing et Washington se sont sensiblement dégradées sous la présidence républicaine de Donald Trump (2016-2020). Elles ont été marquées par de forts désaccords commerciaux avant de se transformer en une « guerre économique » avec un large usage des barrières douanières du côté américain comme du côté chinois. Les deux Etats se sont engagés plus spécifiquement dans une course pour la suprématie dans le secteur high tech, un marché prometteur au cœur de la prochaine révolution industrielle, la révolution digitale.
L’entreprise qui est devenue emblématique de la compétition économique et d’une course à la puissance est la société de télécommunication Huawei. Cette très grosse entreprise chinoise basée à Shenzhen fabrique des smartphones ainsi que des équipements de télécommunication de pointe pour la 5G. Elle a été l’objet de sanctions américaines tout comme d’autres entreprises chinoises comme ZTE, une société de fourniture d’équipements de télécommunication.
Sous l’administration Trump, l’implantation de Huawei sur le marché étatsunien avait été freinée. Les entreprises américaines avaient interdiction de fournir des logiciels, puis des pièces à Huaweï ou de participer à son financement. Cette décision de l’administration Trump avait empêché Huaweï d’utiliser Android comme logiciel sur les nouveaux téléphones portables de la marque. Difficile pour Huawei de continuer à commercialiser ses smartphones dans ces conditions. Dans un second temps, l’administration américaine a complètement interdit Huawei et ZTE aux Etats–Unis, car elles sont accusées d’espionnage en raison d’une possible mise sur écoute téléphonique et du transfert de données digitales d’utilisateurs américains au profit du gouvernement chinois [1]. Les autorités chinoises ont toujours fermement rejeté ces accusations en soulignant que Huawei est une entreprise privée indépendante.
Le dossier Huawei est venu se complexifier avec un volet juridique. Différentes arrestations de cadres de Huawei ont eu lieu. Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei a été arrêtée au Canada le premier décembre 2018 à la demande de la justice américaine qui souhaite son extradition. La justice américaine l’accuse de fraude bancaire et de complot en vue de commettre une fraude bancaire et une fraude électronique. Par ailleurs, Wang Weijing, directeur commercial de Huawei en Pologne, a été arrêté et emprisonné à Varsovie début juin 2021. Il est accusé d’espionnage au profit de la Chine et son procès est toujours en cours.
Les Etats-Unis ont évoqué une possible suspension de leur coopération en matière de renseignement avec certains pays alliés qui continueraient d’octroyer des contrats d’équipement 5G à Huawei. Cette demande de l’administration Trump faite au nom de la préservation de la sécurité nationale a eu une certaine efficacité. Avant 2020, le gouvernement britannique de Boris Johnson avait octroyé à Huawei une partie du marché public d’équipement en télécommunication 5G. A la mi-2020, cette décision a été revue et Huawei n’est plus autorisée à participer au renouvellement des infrastructures de télécommunication en Grande Bretagne. D’autres Etats en Europe, la Suède, ou en Asie, le Japon, l’Australie, la Nouvelle Zélande et la Grande Bretagne ont écarté Huawei des marchés de la 5G ce qui a affaibli considérablement l’équipement chinois et lui a fait perdre la première place mondiale pour la vente des téléphones.
L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche a modifié seulement à la marge la politique des Etats-Unis face à la Chine. Les premières sanctions américaines contre des entités chinoises de la high tech remontent à octobre 2019 et depuis la liste des sociétés concernées par les sanctions américaines n’a fait que s’allonger pour atteindre de manière cumulée plusieurs dizaines d’entreprises. A côté du fabriquant de téléphones Huawei, le président Donald Trump avait décidé de placer huit entreprises chinoises sur cette liste dont Hikvision et Dahua, deux spécialistes des systèmes de surveillance ainsi que des sociétés expertes dans l’intelligence artificielle (IA) et la technologie de reconnaissance faciale telles que Megvii Technology Ltd, SenseTime Group Ltd, iFlyteck, Yitu Technologies. Ces entités ne peuvent plus importer de produits américains sauf obtention d’une licence spéciale. Puis, d’autres grosses sociétés chinoises ont été placées sur ce que l’administration américaine appelle l’ « Entity List » [2] : SZ DJI Technology, un fabriquant de drones, et SMIC, le principal fabricant de puces en Chine, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), Inspur, AVIC, Norinco, China Aerospace Science and Industry Corporation, China Shipbuilding Industry, Hingdu et les trois principaux opérateurs téléphoniques chinois : China Mobile, China Unicom et China Telecom.
Les Etats-Unis reprochent à certaines de ces sociétés d’être soutenues par l’armée chinoise ou de faire de l’espionnage, un argument qui est rejeté par les autorités à Beijing. De plus, les investisseurs américains ont interdiction de financer ces entreprises en particulier sur les marchés financiers internationaux. L’idée du point de vue américain est de ne pas permettre aux capitaux américains d’aider au développement industriel de l’armée chinoise alors qu’en même temps les frictions maritimes entre bâtiments chinois et américains se multiplient en mer de Chine du Sud. Il faut souligner que le nouveau président Joe Biden a conservé cette mesure et rajouté des entreprises sur l’Entity List. Le seul changement décidé en juin 2021 est que se sera à l’avenir le département du Trésor et non le département de la Défense qui sera chargé de ce dossier.
Toujours dans le domaine des technologies numériques, l’administration Biden a décidé d’autoriser les applications TikTok et Wechat aux Etats-Unis après une bataille juridique dont l’issue donne raison aux entreprises chinoises. Ces dernières avaient été interdites par un décret de l’ancien président Donal Trump. Ces applications sont très populaires aux Etats-Unis. Wechat est un outil de communication très utile entre les Américains d’origine chinoise et le reste de leur famille parfois restée en Chine ou entre hommes et femmes d’affaires américains comme chinois. Le président Biden ne se désintéresse cependant pas du dossier puisqu’il a demandé à son administration une enquête approfondie sur les deux applications. Le risque de nouvelles sanctions n’est pas totalement écarté.
Sur le plan politique, toutes ces décisions américaines sont soutenues par un large consensus bipartisan ce qui facilite l’adoption de nouvelles lois. Ce consensus est nourri par l’analyse américaine qui veut que la Chine est le compétiteur technologique le plus dynamique et le plus menaçant pour les Etats-Unis. D’où également un large accord entre le Congrès et la Maison blanche sur la nécessité d’investir massivement dans les technologies numériques afin que les entreprises américaines restent compétitives face aux entreprises chinoises.
A Washington, il est clair qu’il faut à la fois relancer l’économie américaine impactée par la chute de la demande intérieure au moment des confinements et également ne pas se laisser distancer par le concurrent chinois. La « loi pour l’innovation et la compétition des Etats-Unis » dite US Innovation and Competition Act (USICA) a est élaborée et votée par le Sénat américain le 9 juin dernier. Au final, 250 milliards de dollars vont être investis dans la recherche américaine avec un volet de 52 milliards dédié aux capacités de production locale de microprocesseurs. La pandémie de Covid-19 a mis en lumière la faible part des microprocesseurs fabriqués aux Etats Unis. Les fonds récemment votés vont financer la construction d’usines de microprocesseurs par la société américaine Intel, par la l’entreprise sud-coréenne Samsung, et par la société taïwanaise TSMC sur le sol américain.
Le second objectif de ces investissements américains massifs est également pour la Chine et les Etats-Unis de sécuriser leur chaîne d’approvisionnement en semi-conducteurs. Washington a fait appel à son allié taïwanais et plus spécifiquement à l’entreprise taïwanaise TSMC (Taïwan Semi-Conductor Manufacturing Corp.) une entreprise phare du secteur pour construire une usine de production sur le territoire américain, en Arizona. Cette nouvelle implantation permettra d’augmenter le volume total de semi-conducteurs fabriqué aux Etats-Unis. L’objectif est d’éviter que ne se reproduise la situation de pénurie de semi-conducteurs qu’ont connus les fabricants automobiles américains pendant la pandémie de Covid-19. Une aide spécifique de deux milliards de dollars a été décidée pour faciliter la production de semi-conducteurs utilisés par les constructeurs automobiles américains [3].
Les Etats-Unis se dotent d’outils de politique industrielle pour gagner en autonomie vis-à-vis la Chine certes, mais aussi de Taïwan et de la Corée du Sud, les deux autres Etats phares dans le secteur des puces. Sur ce marché marqué par une très forte compétition technologique qui tend vers la miniaturisation des semi-conducteurs, aucun pays n’a de position dominante au niveau mondial. Chine, Etats-Unis, Japon et Corée du Sud luttent pour soutenir leur propre industrie et se positionner favorablement sur le marché mondial.
Du côté chinois, le plus grand fabriquant de microprocesseurs est SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corporation). Des sociétés étrangères ont également des usines en Chine et répondent en partie aux besoins chinois. Ce sont TSMC, SK Hynix, Samsung et Intel. Cependant, la demande chinoise est importante et devrait encore augmenter dans un contexte existant de pénurie mondiale. Fort logiquement, les autorités chinoises ont, elles aussi, décidé d’accroitre leur production locale en facilitant l’ouverture par la société chinoise SMIC d’une nouvelle usine de production à Shenzhen. Le site fabriquera des puces de 28 nanomètres pour le secteur automobile. Son coût total de construction est estimé est de 2,35 milliards de dollars. Les autorités locales de Shenzhen participent à cet énorme investissement en détenant 23% des parts du nouveau site. SMIC en détiendra 55% et des investisseurs tiers les 22% restant [4]. Pour l’instant, la Chine n’a pas assez de compétences technologiques et assure un retard dans la fabrication des très petits microprocesseurs de 5 nanomètres (pour smartphones) qui sont fabriqués par le sud-coréen Samsung.
Dans la « guerre technologique » sino-américaine, des produits spécifiques font parfois l’objet d’interdiction d’importations par la Chine. Le dernier produit touché est le silicium, un composant essentiel pour fabriquer les panneaux solaires. Ces dernières années, les Etats Unis s’approvisionnaient auprès d’une société chinoise Hoshine Silicon Industry. Cette société ainsi que la Xinjiang Production and Construction Corps (XPCC) utiliseraient selon l’administration Biden de la main d’œuvre forcée ouïghoure dans la province du Xinjiang.
L’administration Biden a également décidé de se doter d’un groupe de travail en intelligence économique, une « task force » chargée de diminuer la dépendance industrielle étatsunienne vis-à-vis de la Chine. Mais la question cruciale pour les investisseurs internationaux sera de savoir si les Etats Unis sont assez compétitifs et s’ils ont suffisamment de capacités industrielles pour rivaliser avec les économies asiatiques et en particulier l’économie chinoise.
Si les Etats Unis sont prêts à cibler la Chine en se dotant d’outils nouveaux, la Chine s’est elle aussi dotée de politiques destinées à aider à accompagner la montée en puissance du secteur high tech en Chine. Les dirigeants chinois ont réagi à la mise en place de nouveaux droits de douane par les Etats-Unis dès 2018 en imposant eux aussi des barrières douanières sur certaines importations de produits américains la même année et de manière symétrique à chaque fois que l’administration Trump décidait de nouveaux droits de douanes. Pékin a également pris de nouvelles mesures après les nouvelles sanctions décidées en juin 2021 par l’administration Biden contre des entreprises chinoises accusées d’utiliser de la main d’œuvre forcée ouïghoure. Le parlement chinois a adopté en commission une loi dont la vocation est de limiter les effets économiques des sanctions américaines sur les sociétés chinoises touchées. Pour l’instant, peu de détails ont été donnés sur les mesures précises qui ont été décidées.
Le président Xi Jinping a également défini les priorités industrielles chinoises à moyen-terme avec le 14ème plan quinquennal. Il a été présenté par le premier ministre Li Keqiang lors de la réunion annuelle des deux assemblées populaires. Pékin va s’orienter vers les secteurs d’avenir comme les terres rares, les moteurs d’avion, les voitures électriques et la modernisation du matériel médical. Ces secteurs économiques seront soutenus à la fois politiquement et financièrement par les autorités provinciales et centrales chinoises.
Sur le plus long terme, la stratégie chinoise dite de la « double circulation » concerne également le secteur des hautes technologies. Selon le professeur Junhua Zhang [5], ce qui a poussé la Chine à mettre au point cette nouvelle stratégie, c’est la guerre commerciale avec les Etats-Unis. Lorsque le président Joe Biden est arrivé à la maison Blanche et qu’il a défini comment il allait gérer les défis posés par la Chine, les dirigeants chinois ont examiné la politique du nouveau président américain et ont tranché. A leurs yeux, il faut continuer les réformes économiques chinoises et particulièrement celles qui s’inscrivent dans cette stratégie de « la double circulation ».
Cette nouvelle orientation a été présentée par Xi Jinping en mai 2020 au cours de la dernière session parlementaire annuelle (« les deux sessions ») de la Chine. Il a appelé « à la formation progressive d’une nouvelle configuration de développement fondée sur les doubles circulations intérieure et internationale ». Cette nouvelle stratégie de développement de la Chine repose sur l’idée que le pays doit à la fois stimuler la consommation intérieure et continuer à mondialiser son économie et donc la placer dans « la circulation internationale ». Cette politique du président Xi doit être considérée à la lumière des ambitions que se donne la Chine pour atteindre l’autonomie technologique et devenir une puissance innovante [6]. Elle doit être comprise comme allant dans le même sens et renforçant le plan intitulé « Made in China 2025 » annoncé en 2015 qui visait déjà à améliorer les capacités de production des entreprises chinoises.
L’ambition du président XI Jinping est que la Chine et non les Etats-Unis soit capable d’être à la tête de la prochaine révolution industrielle [7] basée sur les technologies du numérique et sur le développement de l’intelligence artificielle (IA). Ce nouveau défi implique à la fois des réformes économiques et industrielles pour structurer et dynamiser la high tech chinoise mais il nécessite également de très gros investissements en recherche et développement pour aboutir à des dépôts de brevets et des innovations numériques.
Les deux principaux Etats en course dans la révolution high tech sont donc la Chine et les Etats-Unis. Les dirigeants respectifs de ces deux pays se sont engagés tout à fait consciemment dans une concurrence géopolitique systémique dans laquelle ils utilisent tous les outils à leur disposition en cette période de fin de pandémie de Covid-19 : plan d’aide économique national, stratégie de développement technologique à long terme, facilité d’implantation d’usine de voiture électrique ou d’usine de fabrication de micro-processeurs, sanctions économiques, contre-mesures à de premières sanctions économiques. Ces différents outils sont en train de refaçonner en profondeur les secteurs de la high tech et de bouleverser certaines chaines de production mondiales comme celle de l’industrie automobile. Certains de ces outils sont disruptifs et facteurs d’incertitude sur les marchés financiers mondiaux. Enfin, il reste une inconnue majeure : la durée des « guerres économique et technologique sino-américaines » en cours. La première a débuté à la mi- 2018. La « guerre technologique » est plus récente mais il reste difficile de déterminer quand elles cesseront.
Estelle Prin, Professeur de géopolitique à Sciences Po Lyon et l’Université Paris-Dauphine, le 15 juillet 2021
Mots-clés
AsieChine
Etats-Unis
Europe
Japon
Russie
compétitivité
économie et histoire
Relations internationales
souveraineté
puissance
mondialisation
Industrie
géopolitique
géoéconomie
Notes
[1] Cyberwar between the United States and China, Giancarlo Elia Valori, Modern diplomacy, 2020
[2] Entity List, Bureau of Industry and Security, US department of Commerce. Documents consultés le 13/07/2021.
[3] REUTER, 13th of May 2021
[4] Siècle Digital, publication en ligne, « SMIC ouvrira une usine de microprocesseurs avec l’aide du gouvernement », 22 mars 2021
[5] ZHANG Junhua, Webinar organisé par le GIS le 23 juin 2021 intitulé « The great restructuring China’s new dual circulation strategy to outcompete the West ».
[6] La double stratégie de l’économie chinoise, Zhu Viviana, China trends 7, 27 octobre 2020, Institut Montaigne
[7] ZHANG JUNHUA, le GIS le 23 juin 2021 intitulé « The great restructuring China’s new dual circulation strategy to outcompete the West ».
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