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BREXIT, COVID-19, QATARGATE, GUERRE EN UKRAINE - CE QUE LES ACTEURS DE L’UNION EUROPÉENNE FONT DES CRISES

SIX MOIS AVANT LES ELECTIONS EUROPEENNES, L’ALLEMAGNE ET LA FRANCE DOIVENT FORGER LE DISCOURS D’UNE EUROPE PLUS GEOPOLITIQUE. Jeanette Süß

ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC EMMANUEL LINCOT sur la Chine et l’Asie centrale. « LE TRÈS GRAND JEU »

ENTRETIEN AVEC HAMIT BOZARSLAN. DE L’ANTI-DÉMOCRATIE À LA GUERRE EN UKRAINE

EN EUROPE COMME À L’INTERNATIONAL, UN PARCOURS SEMÉ D’EMBÛCHES POUR LE DUO FRANCO-ALLEMAND. Marie KRPATA

ENTRETIEN EXCLUSIF - LE MULTILATERALISME AU PRISME DE NATIONS DESUNIES. Julian FERNANDEZ

L’AFRIQUE ET LA CHINE : UNE ASYMÉTRIE SINO-CENTRÉE ? Thierry PAIRAULT

L’INDO-PACIFIQUE : UN CONCEPT FORT DISCUTABLE ! Thierry GARCIN

L’ALLIANCE CHIP4 EST-ELLE NÉE OBSOLÈTE ? Yohan BRIANT

INVESTISSEMENTS DIRECTS A L’ÉTRANGER - D’UNE STRATÉGIE DE FIRMES À UNE STRATÉGIE GÉOPOLITIQUE (2ème partie). Laurent Izard

INVESTISSEMENTS DIRECTS A L’ÉTRANGER - D’UNE STRATÉGIE DE FIRMES À UNE STRATÉGIE GÉOPOLITIQUE. Laurent IZARD

BRETTON WOODS ET LE SOMMET DU MONDE. Jean-Marc Siroën

LES ENJEUX DE SÉCURITE DE L’INDE EN ASIE DU SUD. Olivier DA LAGE

LA CULTURE COMME ENJEU SÉCURITAIRE. Barthélémy COURMONT

QUELLES POSSIBILITÉS D’ÉVOLUTION POUR LES PETITS ETATS EN RELATIONS INTERNATIONALES ? LE CAS DU QATAR. Par Lama FAKIH

LES ENJEUX STRATÉGIQUES DES CÂBLES SOUS-MARINS DE FIBRE OPTIQUE DANS L’ARCTIQUE. Par Michael DELAUNAY

L’ARCTIQUE ET LA GUERRE D’UKRAINE. Par Thierry GARCIN

LA REVANCHE DE LA (GEO)POLITIQUE SUR L’ECONOMIQUE

UKRAINE. CRISE, RETOUR HISTORIQUE ET SOLUTION ACTUELLE : « LA NEUTRALISATION ». Par David CUMIN

VLADIMIR POUTINE : LA FIN D’UN RÈGNE ? Par Galia ACKERMAN

« LA RUSE ET LA FORCE AU CŒUR DES RELATIONS INTERNATIONALES CONTEMPORAINES »

L’INTER-SOCIALITE AU COEUR DES DYNAMIQUES ACTUELLES DES RELATIONS INTERNATIONALES

LES MIRAGES SÉCURITAIRES. Par Bertrand BADIE

LE TERRITOIRE EN MAJESTÉ. Par Thierry GARCIN

UNION EUROPÉENNE : UNE SOLIDARITÉ TOURNÉE VERS UN PROJET DE PUISSANCE ? Par Joséphine STARON

LES TALIBANS DANS LA STRATÉGIE DIPLOMATIQUE DE LA CHINE. Par Yohan BRIANT

🔎 CHINE/ETATS-UNIS/TAÏWAN : LE TRIANGLE INFERNAL. Par P.A. Donnet

LA RIVALITÉ CHINE/ÉTATS-UNIS SE JOUE ÉGALEMENT DANS LE SECTEUR DE LA HIGH TECH. Par Estelle PRIN

🔎 LES « MÉTAUX RARES » N’EXISTENT PAS... Par Didier JULIENNE

🔎 L’ARCTIQUE DANS LE SYSTÈME INTERNATIONAL. Par Thierry GARCIN

LES PARAMÈTRES DE LA STRATÉGIE DE DÉFENSE DE L’IRAN. Par Tewfik HAMEL

L’INTERNATIONALISME MÉDICAL CUBAIN AU-DELÀ DE L’ACTION HUMANITAIRE. Par G. B. KAMGUEM

LE SECTEUR BANCAIRE, AU CŒUR DU MODELE ECONOMIQUE CHINOIS, SEVEREMENT REPRIS EN MAIN. Par Jean François DUFOUR

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LA DETTE CHINOISE DE DJIBOUTI. Par THIERRY PAIRAULT

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(2) GEOPOLITIQUE D’INTERNET et du WEB. Souveraineté numérique, enjeu géopolitique, Internet sécessionniste. Par L. GAYARD

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L’Europe commence à réagir à l’EXTRATERRITORIALITE du droit américain. Enfin ! Par Stephane LAUER

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De la COMPETITION ECONOMIQUE à la GUERRE FROIDE TECHNOLOGIQUE

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Conférence de Bertrand Badie - L’énigme des émergents : la Chine rivale ou interdépendante des Etats-Unis ? (21 février 2013)

🔎 LES NOUVELLES GUERRES SYSTEMIQUES NON MILITAIRES. Par Raphaël CHAUVANCY

samedi 10 avril 2021 Raphaël CHAUVANCY

La « compétition » s’est retournée contre ses promoteurs (occidentaux), elle est désormais globale. C’est une phase systémique qui implique tous les domaines de la matière ou de la connaissance. Dans cet article, Raphaël Chauvancy (1) vous propose toute une réflexion sur la puissance, qui nous conduit à décrypter ce que l’on appelle désormais la guerre économique, mais surtout la guerre cognitive. Elles se mènent largement de manière couverte. « Leur trame véritable est constituée de prédations cognitives, de raids financiers, de politiques d’encerclement économique ou de pièges normatifs ». L’auteur propose également une analyse par grand pays, et au delà, un retour sur la faiblesse de la démocratie qui est d’abord « un exercice ».... . La Chine par exemple, a parfaitement réussi la captation des richesses et des connaissances, en séparant libertés économiques et libertés politiques, une réalité inconcevable dans la doxa de la pensée libre échangiste. On lira avec précision les guerres de l’information par le contenant et le contenu. Dans ce nouveau contexte géopolitique, le faible peut infliger au fort des dommages irréparables à bon compte.

(1) Raphaël Chauvancy est Officier supérieur des troupes de marine. Il est parallèlement en charge du module « intelligence stratégique et politiques de puissance » de l’Ecole de Guerre Economique à Paris. Il concentre ses recherches sur les problématiques stratégiques et les nouvelles conflictualités.

Dessin de Henri Sam

LES NOUVELLES GUERRES SYSTEMIQUES NON MILITAIRES

L’ère post-Guerre froide a été celle de la « fin de l’histoire ». Aux Etats-Unis, Francis Fukuyama annonçait le triomphe inéluctable de la démocratie libérale et de l’économie de marché dans le sillage du modèle américain [1]. En France, Bertrand Badie théorisait « l’impuissance de la puissance [2] », la revanche des peuples contre les Etats et la substitution des questions sociales aux rivalités politiques. La guerre était appelée à s’éteindre, sauf pour mettre fin au règne anachronique des derniers dictateurs à l’image de Saddam Hussein.

Il ne reste aujourd’hui rien de ces utopies. Le monde s’est remis en marche. Les puissances se heurtent avec d’autant plus de violence que la globalisation a multiplié les points de friction, de litige et d’affrontements. La compétition globale a entraîné la guerre globale.

Les guerres contemporaines ne mettent plus forcément aux prises des bataillons avec leurs soldats et leurs canons. Les grandes puissances ont mesuré les limites et les dangers des affrontements militaires ; s’ils menacent toujours, comme l’épée de Damoclès, sur les Relations Internationales, les Etats ont trouvé de nouveaux moyens de se faire la guerre. Les armées n’en sont plus l’alpha et l’oméga mais une option parmi d’autres, plus insidieuses et aussi destructrices. Les affrontements sont entrés dans une phase systémique impliquant tous les domaines de la matière ou de la connaissance, ce que les Chinois nomment la « guerre hors limites » et les Britanniques, avec leur sobriété coutumière, la « compétition globale ». Nous avons choisi ici d’en aborder deux aspects.

Le premier est la guerre économique, à ne pas confondre avec la subordination classique de l’économie aux impératifs de la guerre. Les Etats cherchent désormais à accroître leur puissance par le développement économique en lui-même. La puissance étant une donnée comparative, l’augmentation différenciée de la richesse globale ne fait qu’exacerber les rivalités.

Le second aspect est celui des guerres cognitives. A l’ère des masses, l’information et la connaissance peuvent déstabiliser une entreprise, soulever les peuples, contrer la politique d’un Etat ou briser sa volonté stratégique. Cette nouvelle dimension est encore relativement mal appréhendée, trop souvent ramenée à ses aspects techniques. Pourtant, la connaissance prend désormais souvent le pas sur la matière.

Ces données nouvelles ont rendu obsolètes la plupart des grilles de lecture traditionnelles, souvent structurellement ethno-centrées, malgré des discours d’ouverture sans portée analytique. Si la France et l’Europe veulent peser sur le monde de demain, y défendre les intérêts de leurs citoyens et promouvoir leurs valeurs humanistes, elles doivent repenser toute leur approche.

GUERRES ECONOMIQUES

Accroître la puissance par l’économie

Il a longtemps été admis en France que la « guerre » économique est un non-sens
 [3] , ou que le concept de « guerre économique » est « abusif [4] ». Ces résistances à une réalité nouvelle n’ont plus cours aujourd’hui. Le constat et le concept sont désormais admis dans le monde économique [5], journalistique [6] et universitaire [7], jusqu’au sommet de l’Etat [8].

L’économie a longtemps été perçue comme le moyen de fournir à l’Etat les ressources nécessaires à ses flottes et à ses armées. Le commerce finançait les canons qui permettait de s’étendre par la force. Cette vision est caduque. L’économie n’est plus un outil ; elle est devenue le champ même de l’accroissement de puissance. L’économie est passée du statut de moyen à celui de principe moteur.

Les destructions ne se font plus par le feu mais par l’altération du tissu économique de la cible. On ne pressure plus les populations en faisant vivre une armée en campagne sur le pays, on leur prend des parts de marché qui les réduisent au chômage. La persistance des conflits territoriaux parmi les nations de second rang apparaît de plus en plus comme une survivance, comme l’avaient bien compris Quiao Liang et Wang Xiangsui, les deux officiers supérieurs chinois auteurs de La guerre hors limites [9]. Les grands, eux, ne cherchent plus à conquérir des provinces [10] mais des sphères économiques.

Après-guerre, l’Allemagne et le Japon n’ont pas renoncé au jeu de la puissance. Seulement, ils sont passés de l’impasse militariste au paradigme de la guerre économique, menée tambour battant, souvent par d’anciens officiers de la Wehrmacht ou pire en Allemagne et de l’armée impériale au Japon.

Le stade des conquêtes territoriales ou même commerciales est donc dépassé. Fondateur de l’Ecole de Guerre Economique et concepteur de l’approche française de l’intelligence économique, Christian Harbulot affirme que « la puissance d’un Etat ou d’une firme multinationale est surtout exprimée par la capacité de rendre les pays dépendants de leurs technologies, de leur emprise financière et de leur influence dans la définition normative des nouvelles règles de l’économie de marché [11].
Les guerres économiques se mènent ainsi majoritairement de manière couverte. Blocus ou grandes batailles douanières ne sont, à tout prendre, que des épiphénomènes paroxysmiques. Leur trame véritable est constituée de prédations cognitives, de raids financiers, de politiques d’encerclement économique ou de pièges normatifs [12]. Ainsi se forme un écheveau de dépendances invisibles qui forme le cœur des stratégies de puissance contemporaines.

Les Etats-Unis et la sécurité économique

L’insolente réussite économique et commerciale japonaise prend la forme d’une véritable conquête économique jusqu’à la fin des années 1980. Les entreprises nippones sont passées de la copie douteuse à l’alternative de qualité avant de prendre la tête des innovations. Le modèle Ford est dépassé par l’agressivité de Toyota.

Seulement la fin de la guerre froide libère les énergies américaines. Une réaction brutale de Japan bashing porte un coup d’arrêt à l’expansionnisme économique nippon. Toutes les armes sont utilisées, des plus simples, comme l’élévation des barrières douanières, aux offensives informationnelles les plus élaborées.

Dès son élection à la Maison Blanche, en 1993, Bill Clinton réoriente la politique générale américaine dans le sens d’une priorité donnée à sa sécurité économique. Le National Economic Council fusionne bientôt avec le National Security Council. La machine de guerre américaine reçoit alors une impulsion nouvelle. Les services américains redéployent la majorité de leurs moyens rendus disponibles par la fin de la Guerre froide « autour de cinq axes définis par la Maison Blanche : géoéconomie, sciences, aide à la prise de décision, renseignement et influence. [13] » Le 13 janvier 1993, le secrétaire d’Etat Warren Christopher déclare que « la sécurité économique américaine doit être élevée au rang de première priorité de la politique étrangère américaine [14] ».

C’est par la combinaison des domaines que combattent les Américains, n’hésitant pas à déstabiliser l’ensemble de leurs concurrents. C’est un des paradoxes du monde contemporain. Alliés militaires et politiques se livrent parallèlement une guerre économique sans pitié, complexifiant la donne internationale et augmentant les facteurs d’imprévisibilité et d’instabilité.

Parmi les armes économiques américaines figure en bonne place le dollar, première monnaie de réserve au monde, incontournable dans la plupart des échanges, dans le domaine stratégique des hydrocarbures par exemple. Aucune monnaie ne rivalise. Malgré les déclarations d’intention européennes, l’Euro a ainsi échoué, jusqu’à maintenant, à proposer une alternative crédible. Depuis la crise financière de 2008, « la part de l’Euro dans les réserves des banques centrales a baissé et est même inférieur à la somme des monnaies européennes avant l’introduction de la monnaie unique. [15] »

L’utilisation du dollar par le monde entier s’imbrique dans le dispositif exorbitant qu’est l’extraterritorialité du droit américain. Quiconque utilise le moindre système de paiement ou de communication américain est réputé relever de leur droit particulier au mépris de la souveraineté des autres Etats. L’utilisation du dollar ou le transit d’un courriel sur un serveur américain y suffisent. Washington peut ainsi taxer lourdement les entreprises étrangères « coupables », par exemple, de traiter avec l’Iran alors que leurs Etats les y autorise. Ainsi la BNP Paribas fut-elle condamnée en 2015 à une amende de… près de 9 milliards de dollars ! Les entreprises étant le plus touchées par ces amendes sont européennes. Ces stratégies normatives offensives ont conduit à des poursuites à l‘encontre d’Alcatel, Alsthom, Total, la Société Générale etc. Nombre de fleurons français sont passés sous les fourches caudines de la justice américaine.

Une autre méthode offensive de guerre économique réside dans le rachat d’entreprises stratégiques étrangères, qui permet à Washington de s’accaparer leurs technologies. Il est à noter que les USA disposent pour leur part d’un système de contrôle interdisant les prises de contrôle extérieures de leurs propres entreprises-clefs. Longtemps désarmée face à ce type d’agressions, la France semble d’ailleurs réagir, le veto du gouvernement au rachat du leader mondial de la vision nocturne Photonis par l’américain Teledyne en 2020 révélant une prise de conscience au plus niveau de l’Etat.

Les Etats-Unis mènent ainsi une stratégie d’encerclement utilisant habilement de contraintes financières, pressions politiques, du renseignement économique, de poursuites judiciaires, d’offensives informationnelles…

La stratégie de guerre économique chinoise

La Chine a développé un modèle de développement et de conquête économique particulièrement efficace à partir des réformes économiques décidées par Deng Xiaoping en 1978. Son capitalisme d’Etat lui a permis d’organiser la captation des richesses et des connaissances des sociétés ouvertes pour les retourner contre elles. Le modèle totalitaire chinois a ainsi réussi sa mutation. Il a non seulement évité le sort de la défunte URSS mais aspire désormais au statut de première puissance mondiale.

Le capitalisme anglo-saxon s’est longtemps assuré une domination mondiale par le principe du libre-échange. Bien que reflétant essentiellement les rapports de force, en contraignant les Etats les plus faibles à s’ouvrir à des économies plus solides, il s’est présenté comme une déclinaison de la liberté. La Chine s’est intelligemment insérée dans le jeu qu’elle a fini par retourner contre ses promoteurs. Les démocraties ont cru que l’ouverture économique annonçait une transition politique [16]. Il n’en a rien été.

L’ouverture chinoise aux entreprises étrangères a d’abord fait l’effet d’une fantastique opportunité. Les grandes sociétés des pays développées se sont précipitées sur cet Eldorado, tirant des bénéfices immédiats sans voir qu’elles créaient de leurs propres mains leurs concurrents de demain.

Tout en contrôlant étroitement les investissements étrangers sur son sol, la Chine a su adopter un profil bas jusqu’à devenir l’usine du monde. Une fois qu’elle a réussi à concentrer la majorité des moyens de production mondiaux, il lui a été aisé de copier les brevets étrangers à une échelle sans précédent. Les vols de propriété intellectuelle effectués par les Chinois ont été estimés par les Américains à 600 milliards de dollars par an, « le plus grand transfert de richesse de l’histoire [17] ». Les nations développées ne s’en sont d’abord pas souciées. Dans leur arrogance, elles ont cru pouvoir conserver un temps d’avance sur des Chinois que l’on avait arbitrairement décrétés bon à copier, non à innover.

Aujourd’hui, la Chine en est au domaine de la conception. Elle bouscule les vieilles nations industrialisés dans leurs prés carrés et veut le faire plus encore demain. S’inspirant en partie des politiques d’expansion économique japonaises et allemandes, le plan Made in China 2025 définit les secteurs de pointe à investir pour l’industrie chinoise : les nouvelles technologies de l’information, les outils de contrôle numérique, les équipements aérospatiaux, les navires high tech, les équipements ferroviaires, les énergies durables, les nouveaux matériaux, les équipements médicaux, la machinerie agricole, les équipements énergétiques [18].

Elle a par ailleurs su enfermer ses rivaux dans un système de dépendance dont ils peinent à s’extraire. Il n’est pas possible redéployer brutalement les moyens de production imprudemment concentrés en Chine. On l’a vu malgré des déclarations fortes lors de la crise de la COVID 19, le mouvement de relocalisation annoncé se fait attendre pour diverses raisons dont celles des coûts de production et de transfert des usines. La France occupe d’ailleurs la première place mondiale… en termes de délocalisations selon un rapport réalisé par France Stratégies [19].

La Chine étend désormais son contrôle sur des secteurs clefs comme les batteries, obligeant l’Europe à réagir en catastrophe sous la pression des Allemands, inquiets pour l’autonomie de leur industrie automobile. Le feu vert pour la création d’un Airbus des batteries a été donné par Bruxelles début 2021. [20]

Les espoirs européens d’utiliser la transition énergétique pour reprendre un avantage concurrentiel sur l’industrie lourde chinoise a été un fiasco. Les Chine s’est assurée un quasi-monopole des panneaux voltaïque et a pris un temps d’avance dans le domaine prometteur de la fabrication de l’hydrogène vert, le carburant d’avenir. Dans ce domaine encore l’Europe est en réaction, avec des investissements français et allemands notamment, mais n’a pas su prendre l’initiative.

La stratégie de puissance économique chinoise s’exerce de manière exemplaire dans le domaine des terres rares. Détentrice d’un tiers des réserves mondiales connues, La Chine a su tirer parti de cet avantage initial pour se placer en situation de monopole. Elle extrait aujourd’hui 80% des terres rares dans le monde et en raffine 90% grâce à une politique de contrôle des prix qui étouffe l’émergence de la concurrence [21]. Dans un contexte tendu avec les Etats-Unis, elle a annoncé début 2021 son intention de restreindre leur exportation. Une habile campagne informationnelle a simultanément informé l’opinion mondiale que la production d’un seul avion de cinquième génération F35 américain nécessitait 400kg de terres rares [22]. Ainsi, ce ne sont pas que les industries de pointe des démocraties qui sont menacées ; la vulnérabilité militaire américaine elle-même a été habilement mise en cause à travers la mise en lumière de ses dépendances industrielles.

Les succès économiques de la Chine lui permettent même de se poser en alternative au modèle démocratique, présenté comme arrivant à bout de souffle. Le développement d’une dialectique articulée sur ses succès dans la lutte contre la pauvreté, couplée à ses investissements, lui vaut l’oreille de plus en plus attentive des pays en voie de développement. « La Chine a maintenant contribué à plus de 70 % aux efforts mondiaux de réduction de la pauvreté, tout en présentant au monde des leçons claires qui peuvent être appliquées pour achever la tâche de réduction de la pauvreté ailleurs [23] » affirme-t-elle. L’économie rejoint ici le story telling, mettant en lumière l’autre réalité du XXIe siècle : les guerres cognitives.

GUERRES COGNITIVES

La cinquième dimension

Le XXIe siècle a vu apparaître et se développer un nouveau type d’affrontement : les guerres cognitives [24]. L’espace immatériel informationnel s’affirme ainsi comme une cinquième dimension où se déplacent à la fois les intérêts et les affrontements.

Ce nouvel espace de bataille est sans doute le plus fluide, le plus instable. L’arme informationnelle est d’ailleurs un redoutable égalisateur de puissance, où le faible peut infliger au fort des dommages irréparables à bon compte. Il est difficile de prouver une agression immatérielle, aussi ce domaine ne connaît-il pas de limites.

Les agressions informationnelles sont entrées dans le paysage stratégique économique. Un cas typique récent est celui de Naval Group. Même après avoir remporté un contrat de plus de 3 milliards d’euros dans le cadre du renouvellement de la flotte sous-marine australienne, l’entreprise a été victime de tentatives de déstabilisation en 2020 et 2021, visant à la discréditer pour remettre le marché en cause et en jeu. Relayés par la presse locale qui a servi de caisse de résonnance, des soupçons fallacieux de manque de fiabilité ont placé le groupe dans une situation périlleuse. S’il a pu sauver son contrat, il s’est trouvée en position de faiblesse vis-à-vis du gouvernement de Canberra à qui il a dû concéder in extremis une augmentation de la part cédée à la sous-traitance australienne [25] .

Sur un tout autre plan, les armées françaises déployées au Mali ont vu la légitimé de leur intervention violemment remise en cause sur les réseaux sociaux. Loin d’être anecdotique, l’affaire pourrait avoir des conséquences opérationnelles, voire stratégiques, en dressant contre la France les populations même qu’elle est venue protéger [26]. Si les islamistes y ont évidemment joué un rôle, son origine est à rechercher dans une opération d’influence antifrançaise orchestrée par les Russes et, dans une moindre mesure, par les Turcs. Ainsi les Français sont-ils tour à tour accusés de néocolonialisme ou de massacrer des civils. Les rumeurs se répandent d’autant plus facilement qu’elles sont diffusées au sein de populations particulièrement déshéritées, promptes à la rancœur ou à la colère.

En conséquence, l’armée de Terre a placé la guerre informationnelle parmi ses nouvelles priorités par la volonté de son chef d’état-major. Les Britanniques ont également pris la mesure de cette cinquième dimension. Le nouveau concept d’opération de leurs forces armées, présenté à l’automne 2020, intègre ainsi la notion de « compétition » tous azimuts. Il remarque que les compétiteurs des nations démocratiques se livrent se livrent à des opérations de guerre non cinétiques, cognitives, destinées à « saper leur cohésion, à éroder leurs capacités de résilience économique, politique et sociale », cherchant à s’assurer « des avantages stratégiques dans les régions-clefs du monde [27] » et à « briser leur volonté » [28] tout en demeurant en deçà des lignes rouges susceptible d’entraîner une riposte militaire.

Ainsi « Notre cadre légal, éthique et moral nécessite-t-il une mise à jour pour refuser à l’ennemi l’opportunité de saper nos valeurs  [29] » affirme le général Carter, le chief of the defence staff. Par ailleurs, les Britanniques ont annoncé leur décision de se doter de capacités offensives en termes de guerre informationnelle afin de rendre les coups reçus de manière d’autant plus décomplexée qu’en attaquant la cohésion nationale, c’est le principe même de la démocratie que ses rivaux menacent.

En termes de guerre dans la cinquième dimension, la cible n’est plus directement l’ennemi. C’est en agissant sur l’environnement qu’il est possible de «  modeler le comportement d’un adversaire à travers des actions couvertes et ouvertes [30] ». L’ère des masses et de l’information est aussi celui des guerres comportementales dont la cible n’est plus matérielle puisqu’il s’agit de l’esprit humain lui-même.

Guerres de l’information par le contenant

Les Britanniques ont assuré le développement puis la pérennité de leur empire sur le contrôle des communications. Un réseau unique de lignes télégraphiques, la fameuse All Red Line [31], reliait toutes leurs dépendances. La rapidité et la sécurité de la transmission des informations leur permettait une agilité sans commune mesure. C’est parce qu’elles étaient réactives et bien informées que les autorités politiques et militaires impériales pouvaient agir rapidement. Contrairement à une certaine imagerie d’Epinal, les colonies de la couronne n’étaient pas tenues par la force, les effectifs militaires impériaux étaient dérisoires, mais par le contrôle de l’information.

Nouvelle puissante dominante, L’Amérique contemporaine a su investir à son tour le domaine des communications, exerçant un véritable impérialisme informationnel. Créatrice d’Internet et de la plupart des réseaux d’échanges, elle occupe également une position dominante en terme de stockage des données numériques sur son sol.

La masse des informations qui transitent à chaque instant ne lui est pas hermétique. Julian Assange a ainsi révélé que la National Security Agency (NSA) aurait largement espionné les données bancaires transitant par le réseau SWIFT, sous prétexte de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.

Le Washington Post a récemment révélé les dessous d’une opération révélatrice de l’attitude américaine en termes de contrôle de l’information. Après-guerre, la compagnie suisse de cryptage Crypto AG s’est progressivement développée, inspirant confiance, tant par ses qualités techniques que par la réputation de neutralité des cantons helvétiques. Dans les années 1960, elle occupe une position stratégique. La CIA décide alors de l’infiltrer. C’est l’opération « Thesaurus ». Dans un premier temps, elle favorise l’expansion de l’entreprise en lui offrant de généreux financements qui sont acceptés. Ces liaisons dangereuses deviennent bientôt plus étroites encore et, à la fin de la décennie, la CIA construit elle-même les machines vendues par Crypto ! En 1970, une nouvelle étape est franchie : l’agence américaine rachète directement, et discrètement, l’entreprise, associée aux services ouest-allemands. Dans les années 1980, 40% des messages officiels cryptés dans le monde le sont par Crypto, offrant aux services américains une source d’information unique. Les nouvelles capacités de cryptage du numérique font perdre son intérêt à la société qui est revendue en 2018, avant que l’affaire ne soit rendue publique. « C’est le coup du siècle en termes d’espionnage, dit un rapport de la CIA cité par le quotidien américain, les gouvernements étrangers payaient en bon argent les Etats-Unis et l’Allemagne de l’Ouest pour avoir le privilège d’avoir leurs communications les plus secrètes lues par au moins deux (et possiblement jusqu’à cinq ou six) pays étrangers ». [32]

Avec le Cloud Act adopté par les États-Unis en 2018, les différentes agences américaines peuvent dorénavant accéder à toute information contenue dans les serveurs de Microsoft, Facebook, Amazon, Google etc. Les informations les plus sensibles des administrations ou des entreprises étrangères hébergées aux Etats-Unis, sont toutes susceptibles d’être consultées et exploitées par les services de cette nation, lui procurant un avantage concurrentiel exorbitant.

Pour échapper au monopole américain, les Chinois ont développé leurs propres serveurs dans le Guyang afin de disposer de capacités de stockage des données indépendantes. Les Russes ont pour leur part développé une alternative nationale d’indexation aux géants américains, Yandex permettant à l’Etat russe un contrôle indirect sur Internet.

L’Europe, elle, est dans une situation de dépendance critique à l’égard des Etats-Unis. Le moteur de recherche français Qwant, ne représente qu’une alternative anecdotique à Google et une entreprise de stockage des données comme OVHcloud, qui aspire à devenir la principale alternative européenne aux solutions américaines, est encore trop régionalisée pour bouleverser les rapports de force, malgré sa belle troisième place en France derrière Amazon et Microsoft [33].

Enfin, les opérations de hacking, sauvages ou orchestrées par des Etats en second rideau, sont désormais identifiées comme des menaces courantes.

Guerres de l’information par le contenu

Les guerres de l’information par le contenant ne diffèrent guerre des schémas classiques. Il s’agit de se doter d’infrastructures et de technologies clefs et de les protéger, tout en cherchant à en priver ses adversaires. Les ponts, les routes et les entrepôts informationnels se superposent aux axes de béton et aux hangars sans changer de nature. Les Français se sont longtemps limités à cet aspect, sans d’ailleurs parvenir à prendre le dessus puisque leur dépendance à l’égard des Etats-Unis est totale.

Pourtant, les guerres cognitives vont bien au-delà. Il est compliqué de contourner une contrainte technique identifiée. Il l’est plus encore de se libérer d’une manœuvre d’encerclement insidieuse consistant à occuper les espaces conceptuels pour forcer la cible à penser et à agir selon les grilles de lectures qui lui ont été inoculées. L’exemple-type en est celui de l’opération d’influence de longue haleine menée par les Etats-Unis à l’égard des élites européennes depuis 1945. L’intellectuel américain Sidney Hook, impliqué dans la création Congress for Cultural Freedom, destiné à influencer les élites européennes et financé par la CIA, annonçait ouvertement son programme : « rééduquer les Français » [34] .

Influencer les comportements va bien au-delà de la simple manipulation, procédé grossier et facilement décelable, susceptible de se retourner contre ses initiateurs. Une opération d’influence aboutie est totalement invisible. Elle sape les bases de l’adversaire sans offrir de prises en retour. Utilisant et approfondissant les principes de la guerre subversive, elle ne se contente pas de modifier les comportements adverses mais reformate ses modes de réflexion et ses critères de jugement. Elle l’enferme dans une impasse sans retour puisque ce ne sont pas ses conclusions qui sont fausses mais l’orientation initiale donnée à son analyse. Une bulle cognitive l’empêche de comprendre les enjeux et la menace. Il perd la capacité de penser et de concevoir une riposte. Ses critères de jugement sont altérés.

L’officier américain John Boyd a conceptualité un cycle de décision célèbre permettant de prendre l’ascendant sur l’adversaire, la boucle OODA. Elle consiste à observer, orienter, décider, agir. Les opérations de guerre cognitives se placent en amont de l’action puisqu’elles visent à fausser les données initiales brutes (phase d’observation) et à dégrader les critères d’analyse et de jugement (phase d’orientation). Dès lors, il n’est plus besoin d’aller jusqu’à la confrontation cinétique puisque l’action ennemie sera conditionnée pour se perdre loin de l’objectif véritable, pour échouer ou même pour ne pas avoir lieu [35]. Particulièrement attentifs et sensibles aux agissements russes, les services estoniens ont révélé certaines des méthodes d’influence russes pour modeler l’opinion, déstabiliser un gouvernement ou s’insinuer dans les bonne grâce d’un Etat [36].

Le phénomène médiatique des fake news a récemment retenu l’attention du grand public. Le cas est intéressant puisqu’il met en lumière les différents niveaux d’une offensive informationnelle. Le danger direct des fake news est mineur. Comme toute manipulation, elles exposent leurs émetteurs et leurs relais à une perte de crédibilité et de légitimité. Dans une société de l’information, une fausse nouvelle se répand vite mais les critères de vérification sont suffisamment nombreux pour offrir un pare-feu acceptable. Une fois l’effet de surprise passé, les ingérences avérées de l’Etat russe [37] lors des élections démocratiques américaines ont globalement été contrées par la production de connaissance et la diffusion d’une vérité objective, permettant de rééquilibrer la nature des informations disponibles.

Mais les influenceurs russes ont sans doute identifié la véritable faille démocratique : son principe même. La démocratie n’est ni un droit, ni un état, elle est un exercice. Un exercice d’autant plus délicat qu’il repose sur la règle du compromis entre des citoyens conscients de partager un destin commun. Il se structure autour du retraitement rationnel des informations disponibles. L’espace informationnel est un lieu de rencontre et de débat dans une société ouverte.

Ce n’est donc pas la nature des informations relayés par les réseaux sous influence russe qui est la plus néfaste. C’est le fait qu’elles aient jeté la suspicion sur toute information venue du camp « d’en face ». Ce ferment a joué le rôle de levain auprès des forces centrifuges internes américaines – et demain peut-être européennes.

La peur des fake news a servi de prétexte à la criminalisation des opinions rivales, justifiant l’instauration d’une censure de fait aux Etats-Unis. C’était la solution la plus facile et, malheureusement, la plus dangereuse.

Au lieu de faire la démonstration des manipulations à l’œuvre et de se livrer à une pédagogie des contenus, l’establishment américain est tombé dans le piège de la censure, repoussant les plus radicaux de ses opposants dans un inquiétant déni de réalité. La fermeture des comptes du président américain en exercice, quelle que soient les raisons invoquées, a accentué le fossé entre américains et favorisé une polarisation sans précédent depuis la guerre de Sécession. Enfin, la contradiction flagrante entre les discours officiels de Washington, dénonçant la censure en Russie ou à Hong-Kong, et la réalité intérieure affaiblit ses positions morales.

Le succès des ingérences russes n’est donc pas d’avoir influencé une partie peu éduquée des masses aux USA. C’est d’avoir remis en cause le modèle de société ouverte. La dislocation de l’espace public et du système de valeurs américain a permis de corrompre le débat démocratique de l’intérieur, lui substituant une mécanique conflictuelle interne radicale. C’est une étape sur la voie de la dislocation sociale et culturelle, de l’atomisation des forces nationales et du sentiment de partager un destin commun. L’incapacité des Américains –mais les nations européennes sont tout aussi vulnérables, à surmonter démocratiquement et sereinement l’offensive des fake news n’est pas anecdotique ; elle constitue une défaite informationnelle stratégique dans une lutte sans merci entre les puissances.

CONCLUSION

Notre monde multipolaire est celui des rivalités de puissance. Comme depuis l’aube de l’histoire, celles-ci se dénouent par la guerre. Seulement, celles-ci ne sont désormais plus forcément militaires. En se complexifiant, les sociétés humaines ont multiplié les opportunités de s’affronter en dehors du paroxysme homicide.

Le monde économique échappe aux simples données commerciales d’antan. Il est mouvant, comme la dimension cognitive devenue elle-même source de richesse et de pouvoir. Par ce leur terrain est évolutif, le succès d’aujourd’hui ne garantit en rien celui de demain. Les guerres dans un tel environnement ne peuvent se dénouer par une bataille, aussi sont-elles devenues systémiques.

L’ouverture de nouveaux espaces et de nouvelles dimensions à la rivalité entre les nations a bouleversé la donne géopolitique. Les cartes stratégiques sont désormais multidimensionnelles et deviennent rapidement caduques contraignant les acteurs à une agilité renouvelée sous peine de déclassement.

Le but recherché n’est plus le choc avec l’ennemi. C’est de le prendre dans un écheveau de dépendances et de le contraindre indirectement, en cachant sa force. A la violence physique succède la violence économique et cognitive.

Raphaël Chauvancy, le 19 mars 2021

Notes

[1FUKUYAMA Francis, The end of history and the last man, Free Press, New-York, 1992

[2BADIE Bertrand, L’impuissance de la puissance : essai sur les nouvelles relations internationales, Fayard, Paris 2004.

[3BATTISTELLA Dario, Paix et guerres au XXIe siècle, Editions sciences humaines, Paris 2011, p. 11

[4LACHAUX Claude, La guerre économique n’est pas la guerre, revue Esprit, La Revue des deux mondes, avril 1995, p. 94

[6LAÏDI Ali, Histoire mondiale de la guerre économique, Perrin, Paris 2016

[7MOINET Nicolas, les sentiers de la guerre économique, VA éditions, Paris 2021.

[9LIANG Quiao et XIANGSUI Wang, La guerre hors limite, Rivages poche, Paris 2006

[10Le cas de la Chine même ne fait pas exception. Elle ne cherche pas l’accroissement de puissance par la conquête mais la « réunification » dans le cas de ses visées sur Taïwan, la liberté de manœuvre en revendiquant certains îlots de mer de Chine, l’ascendant psychologique en s’opposant à l’Inde pour quelques parcelles désertiques qui lui permettent de d’enfermer Delhi dans un sentiment d’infériorité et de l’acculer à la défensive

[11HARBULOT Christian, L’art de la Guerre Economique, VA éditions, Paris 2018, p. 35

[12LAÏDI Ali, Le Droit, nouvelle arme de guerre économique : Comment les Etats-Unis déstabilisent les entreprises européennes, Actes Sud, Paris, 2019

[13COISSARD Steven, DELHALLE Laurent, SEIGLIE Carlos, Guerre économique et sécurité nationale, une approche comparative des systèmes institutionnels d’intelligence économique, Revue internationale d’intelligence économique, 2010/2.

[14Cité in HARBULOT Christian et PICHOT-DUCLOS Jean, La France doit dire non, base de Connaissance AEGE, 2003, p. 5.

[15SALES Emmanuel, Pourquoi le dollar est indétrônable, les Echos, 4 octobre 2018.

[16DELMAS-MARTY Mireille et WILL Pierre-Etienne (dir), La Chine et la démocratie, Fayard, Paris, 2007

[17TIESSEN Pierre, SOUBROUILLARD Régis, La France made in China, la France peut-elle résister à la puissance chinoise ?, Document Michel Lafon, Paris, 2019, p. 57.

[20PEROTTE Derek, STEIWER Nathalie, L’Europe lance un deuxième Airbus des batteries électriques avec Tesla et BMW, Les Echos, 26 janvier 2021. On peut cependant s’interroger sur la réalité d’une autonomie stratégique européenne dans un secteur clef développée avec une entreprise… américaine, comme Tesla.

[21DELAMARCHE Myrtille, Qui pour concurrencer la Chine dans les terres rares ? L’usine nouvelle, 4 juin 2019.

[22BEZAT Jean-Michel, La bataille des terres rares passe par la relance de la production hors de Chine, Le Monde, 17 février 2021.

[23« Le rapport sur la victoire de la Chine contre la pauvreté extrême est une source d’inspiration pour le monde », in http://french.poepledaily.com.cn/Chine/n3/2021/0303/c31354-9823920.html

[24HARBULOT Christian, LUCAS Didier (dir), La guerre cognitive, l’arme de la connaissance, Lavauzelle, Paris, 2004.

[31Des reproductions cartographiques peuvent être consultées sur Internet : https://www.atlantic-cable.com/Maps/index.htm

[32MILLER Greg, The intelligence coup of the Century, Washington post, 11 février 2020.

[34TONOR SAUNDERS Frances, Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle, Denoël, Paris, 2003, p. 80.

[35MOINET Nicolas, La maîtrise de l’information stratégique dans les organisations au regard du couple agilité/paralysie : la notion de dispositif intelligent, in VOLANT Christiane (dir) L’information dans les organisations : dynamique et complexité, Presses universitaires François Rabelais, Tours 2008, p. 67-81.

[36Estonian Foreign intelligence services, International security and Estonia 2020, p. 30-69.

[37Mais la Chine ou l’Iran ont également été mis en cause par les services américains. D’autre part, les Etats-Unis eux-mêmes se sont rarement gardés de jouer discrètement de leur influence pour tenter de favoriser le candidat le plus conforme à leurs intérêts.

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