LES ÉTATS-UNIS ET LE PROTECTIONNISME. UNE CONSTANCE ET DES VARIANTES
PROCHE-ORIENT. 7 OCTOBRE : UN AN APRÈS… Ph. Mocellin et Ph. Mottet
POUR L’INDE, LA RUSSIE EST UN INVESTISSEMENT A LONG TERME. Olivier DA LAGE
LA CHINE ET L’ARCTIQUE. Thierry GARCIN
L’ESPACE, OUTIL GÉOPOLITIQUE JURIDIQUEMENT CONTESTÉ. Quentin GUEHO
TRIBUNE - FACE À UNE CHINE BÉLLIQUEUSE, LE JAPON JOUE LA CARTE DU RÉARMEMENT. Pierre-Antoine DONNET
DU DROIT DE LA GUERRE DANS LE CONFLIT ARMÉ RUSSO-UKRAINIEN. David CUMIN
ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC EMMANUEL LINCOT sur la Chine et l’Asie centrale. « LE TRÈS GRAND JEU »
ENTRETIEN AVEC HAMIT BOZARSLAN. DE L’ANTI-DÉMOCRATIE À LA GUERRE EN UKRAINE
ENTRETIEN EXCLUSIF - LE MULTILATERALISME AU PRISME DE NATIONS DESUNIES. Julian FERNANDEZ
L’AFRIQUE ET LA CHINE : UNE ASYMÉTRIE SINO-CENTRÉE ? Thierry PAIRAULT
L’INDO-PACIFIQUE : UN CONCEPT FORT DISCUTABLE ! Thierry GARCIN
L’ALLIANCE CHIP4 EST-ELLE NÉE OBSOLÈTE ? Yohan BRIANT
BRETTON WOODS ET LE SOMMET DU MONDE. Jean-Marc Siroën
LES ENJEUX DE SÉCURITE DE L’INDE EN ASIE DU SUD. Olivier DA LAGE
LA CULTURE COMME ENJEU SÉCURITAIRE. Barthélémy COURMONT
L’ARCTIQUE ET LA GUERRE D’UKRAINE. Par Thierry GARCIN
LA REVANCHE DE LA (GEO)POLITIQUE SUR L’ECONOMIQUE
UKRAINE. CRISE, RETOUR HISTORIQUE ET SOLUTION ACTUELLE : « LA NEUTRALISATION ». Par David CUMIN
VLADIMIR POUTINE : LA FIN D’UN RÈGNE ? Par Galia ACKERMAN
« LA RUSE ET LA FORCE AU CŒUR DES RELATIONS INTERNATIONALES CONTEMPORAINES »
L’INTER-SOCIALITE AU COEUR DES DYNAMIQUES ACTUELLES DES RELATIONS INTERNATIONALES
LES MIRAGES SÉCURITAIRES. Par Bertrand BADIE
LE TERRITOIRE EN MAJESTÉ. Par Thierry GARCIN
UNION EUROPÉENNE : UNE SOLIDARITÉ TOURNÉE VERS UN PROJET DE PUISSANCE ? Par Joséphine STARON
LES TALIBANS DANS LA STRATÉGIE DIPLOMATIQUE DE LA CHINE. Par Yohan BRIANT
🔎 CHINE/ETATS-UNIS/TAÏWAN : LE TRIANGLE INFERNAL. Par P.A. Donnet
LA RIVALITÉ CHINE/ÉTATS-UNIS SE JOUE ÉGALEMENT DANS LE SECTEUR DE LA HIGH TECH. Par Estelle PRIN
🔎 LES « MÉTAUX RARES » N’EXISTENT PAS... Par Didier JULIENNE
🔎 L’ARCTIQUE DANS LE SYSTÈME INTERNATIONAL. Par Thierry GARCIN
LES PARAMÈTRES DE LA STRATÉGIE DE DÉFENSE DE L’IRAN. Par Tewfik HAMEL
🔎 LES NOUVELLES GUERRES SYSTEMIQUES NON MILITAIRES. Par Raphaël CHAUVANCY
L’INTERNATIONALISME MÉDICAL CUBAIN AU-DELÀ DE L’ACTION HUMANITAIRE. Par G. B. KAMGUEM
UNE EUROPE TRIPLEMENT ORPHELINE
LA DETTE CHINOISE DE DJIBOUTI. Par THIERRY PAIRAULT
CONSEIL DE SECURITE - L’AFRIQUE EST-ELLE PRÊTE POUR PLUS DE RESPONSABILITÉ ?
COMMENT LA CHINE SE PREPARE POUR FAIRE FACE AU DEUXIEME CHOC ECONOMIQUE POST-COVID. Par J.F. DUFOUR
GUERRE ECONOMIQUE. ELEMENTS DE PRISE DE CONSCIENCE D’UNE PENSEE AUTONOME. Par Christian HARBULOT
LA CRISE DU COVID-19, UN REVELATEUR DE LA NATURE PROFONDE DE L’UNION EUROPEENNE. Par Michel FAUQUIER
(1) GEOPOLITIQUE D’INTERNET et du WEB. GUERRE et PAIX dans le VILLAGE PLANETAIRE. Par Laurent GAYARD
La GEOPOLITIQUE DES POSSIBLES. Le probable sera-t-il l’après 2008 ?
« Une QUADRATURE STRATEGIQUE » au secours des souverainetés nationales
L’Europe commence à réagir à l’EXTRATERRITORIALITE du droit américain. Enfin ! Par Stephane LAUER
LA DEFENSE FRANCAISE, HERITAGE ET PERPECTIVE EUROPEENNE. Intervention du Général J. PELLISTRANDI
L’EUROPE FACE AUX DEFIS DE LA MONDIALISATION (Conférence B. Badie)
De la COMPETITION ECONOMIQUE à la GUERRE FROIDE TECHNOLOGIQUE
ACTUALITES SUR L’OR NOIR. Par Francis PERRIN
TRUMP REINVENTE LA SOUVERAINETE LIMITEE. Par Pascal Boniface
Une mondialisation d’Etats-Nations en tension
LES THEORIES DES RELATIONS INTERNATIONALES AUJOURD’HUI. Par D. Battistella
MONDIALISATION HEUREUSE, FROIDE et JEU DE MASQUES...
RESISTANCE DES ETATS, TRANSLATION DE LA PUISSANCE
Ami - Ennemi : Une dialectique franco-allemande ?
DE LA DIT A LA DIPP : LA FRAGMENTATION DE LA...
Conférence de Pierre-Emmanuel Thomann : La rivalité géopolitique franco-allemande (24 janvier 2017)
Conférence d’Henrik Uterwedde : Une monnaie, deux visions (20 janvier 2016)
Conférence de Bertrand Badie : Les fractures moyen-orientales (10 mars 2016)
INVESTISSEMENTS DIRECTS A L’ÉTRANGER - D’UNE STRATÉGIE DE FIRMES À UNE STRATÉGIE GÉOPOLITIQUE (2ème partie). Laurent Izard
2ème partie : le cas de l’Union européenne et de la France
lundi 30 janvier 2023 Laurent IZARD
Dans cette deuxième partie sur le basculement majeur des investissements directs à l’étranger vers les enjeux géopolitiques, Laurent Izard entre dans l’analyse de l’Union européenne et de la France. La complexité est de trouver un équilibre : comment attirer les IDE étrangers tout en (re)construisant une relative souveraineté économique ? L’auteur insiste sur la difficulté de passer d’une « nouvelle doctrine » à l’efficacité de mesures effectives, dans une Europe fortement désindustrialisée, aux positions nationales souvent opposées.
L’Union européenne s’est bâtie autour de l’idée du « laisser faire-laisser passer » chère aux économistes libéraux, qui ne se limite pas aux échanges commerciaux mais concerne également les IDE. En dépit de cette doctrine non interventionniste, tout a été mis en œuvre pour que les pays de l’UE soient des terres d’accueil pour les investisseurs étrangers. La France est particulièrement performante en ce domaine, et nos gouvernants s’honorent régulièrement de l’attractivité de notre pays : en 2021, la France a ainsi accueilli un nombre record de projets d’investissement international, en hausse de 24 % par rapport à 2020. Elle se maintient à la première place européenne en termes d’accueil d’investissements internationaux [1].
Mais globalement, l’Union européenne souffre dans de nombreux domaines d’un déficit d’investissements industriels et même d’un déficit d’attractivité par rapport au reste du monde :
Il est fort dommage que les études quantitatives réalisées sur les IDE entrants en Europe n’opèrent pas de distinction entre, d’une part, les investissements étrangers vertueux, créateurs d’emplois et facteurs de croissance, et d’autre part les investissements de prédation ou purement financiers, qui le sont parfois beaucoup moins…
Les IDE qui ont permis à des puissances étrangères de prendre le contrôle des grands groupes français sont désormais bien connus [2]. Mais l’on peut également observer que de très nombreuses PME européennes et particulièrement françaises ne grandissent pas, car elles se font souvent racheter avant d’avoir atteint leur phase de maturité [3], majoritairement par des groupes étrangers.
Nicolas Dufourq, le directeur général de BPI France a ainsi déclaré : « La tech française est extrêmement attractive, essentiellement pour les grands groupes américains. Il faut avoir conscience en particulier que dans des mondes comme la medtech ou la biotech, le pourcentage d’entreprises qui à la fin sont rachetées par des grands groupes américains est considérable », de l’ordre de « 80% ». Et l’appétit des investisseurs étrangers s’oriente aujourd’hui vers les start-up des secteurs stratégiques de demain : cybersécurité, calcul quantique, etc. Une belle pépite française va d’abord se développer sur des subventions et avances remboursables publiques, grâce notamment à des investisseurs de « proximité », locaux ou nationaux. Mais plus la start-up grandit, plus ses besoins financiers s’accroissent. C’est souvent ici qu’interviennent les fonds d’investissement et les groupes étrangers qui viennent traquer, avec la bénédiction de leur État d’origine, les bonnes opportunités françaises et ce jusque dans les campus. In fine, les phases de risques auront été couvertes et garanties par l’État français et en grande majorité par l’argent public. Au moment où l’entreprise commence à rapporter, au moment donc des premiers retours sur investissement, les bénéfices partent vers l’étranger...
Quelles sont les politiques de l’Union européenne et de la France à l’égard des IDE ?
Ces politiques sont surtout défensives. Certes, Bruxelles soutient parfois indirectement, à l’instar des États-Unis, des entreprises européennes qui investissent à l’étranger. Certes, pour contrer les « nouvelles routes de la soie » chinoises, la Commission européenne a présenté en décembre 2021 un projet concurrent d’investissements dans des projets d’infrastructures à travers le monde, baptisé « Global Gateway » et doté de 300 milliards d’euros [4]. Certes, les chefs d’État des pays de l’UE organisent de plus en plus fréquemment des « voyages diplomatiques », accompagnés de grands patrons d’industrie, dans le but de promouvoir les produits français, de faciliter des contrats de grande ampleur, ou de sceller des alliances stratégiques qui peuvent inclure des IDE d’envergure.
Mais les pays de l’Union européenne cherchent surtout à attirer sans grand discernement des investisseurs étrangers pour soutenir l’activité économique du vieux continent. Ce n’est que récemment que l’Union européenne a pris conscience du risque de prédation de son patrimoine économique, de sa dépendance industrielle à l’égard du reste du monde et des déséquilibres concurrentiels structurels qui pénalisent ses entreprises.
Marquant une évolution majeure de sa doctrine, l’autonomie stratégique devient depuis peu une priorité de l’Union européenne [5]. Cette nouvelle ambition consiste, pour les Européens, à être en mesure d’agir et de se défendre eux-mêmes pour assurer leur sécurité face aux risques militaires, géopolitiques et économiques, notamment en cas de crise majeure. Si l’expression est originellement associée à la défense, elle recouvre maintenant d’autres domaines liés à l’économie ou aux nouvelles technologies (numérique, espace, intelligence artificielle…). Lors du Conseil européen d’octobre 2020, les Vingt-Sept se sont accordés pour affirmer que dans les domaines du marché unique, de la politique industrielle et du numérique, “parvenir à une autonomie stratégique tout en préservant une économie ouverte est un objectif clé de l’Union” [6]. Et nos dirigeants n’hésitent plus à évoquer la « souveraineté économique » de l’UE. Celle-ci dispose déjà de plusieurs instruments de défense contre les pratiques commerciales agressives : règles antidumping, mesures antisubventions et mesures de sauvegarde. Concernant les IDE entrants, un dispositif de cadrage et de coordination est désormais actif depuis octobre 2020 [7]et se superpose aux dispositifs nationaux de contrôle des investissements étrangers. Ce mécanisme doit permettre de mieux protéger les intérêts stratégiques de l’Union en évitant le rachat de fleurons européens par des entreprises ou fonds d’investissement du reste du monde [8]. Et l’UE pourrait prochainement disposer elle-même d’un outil de contrôle contraignant l’autorisant à bloquer certains investissements directs entrants [9].
L’UE travaille également à la mise en œuvre d’un instrument de réciprocité en matière d’ouverture des marchés publics [10] et est parvenue en décembre 2022 à adopter un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières afin de pénaliser les produits importés issus de pays ne respectant pas les règles environnementales européennes [11], ce qui pourrait, en théorie, jouer un rôle positif sur notre attractivité en matière d’IDE industriels. Un accord commercial avec la Chine visant à ouvrir le marché chinois aux entreprises européennes a même été signé en décembre 2020 mais sa mise en œuvre reste pour le moment bloquée [12].
La crise sanitaire de 2020 a d’autre part entrainé une nouvelle accélération de la politique européenne d’autonomie industrielle : un inventaire de nos dépendances a été réalisé, permettant d’identifier 137 produits (sur 5200 étudiés) pour lesquels l’UE était très dépendante, une large majorité d’entre eux étant importés d’Asie [13]. Il s’agit notamment de matières premières, de principes actifs de médicaments et de composants de technologies avancées comme les semi-conducteurs. Des solutions ont été recherchées qui passent par une plus grande diversification des approvisionnements, la relocalisation de certaines usines et la création, lorsque cela est possible, de nouveaux sites de production. À plus long terme, l’UE cherche à préparer l’avenir dans les domaines des sciences de la vie, du numérique et des énergies renouvelables. C’est l’enjeu des Projets Importants d’Intérêt Européen Commun (PIIEC), censés répondre sur un mode coopératif aux défis chinois et américains [14].
Mais cette nouvelle orientation de la politique industrielle de l’UE est loin de faire l’unanimité :
• D’abord parce qu’elle rompt avec la doctrine originelle de l’UE, axée sur le libre échange, la protection de la concurrence et la non intervention des États, y compris en matière d’IDE, une doctrine encore défendue aujourd’hui par de nombreux pays européens et qui reste largement dominante en pratique. En témoigne le véto posé en février 2019 à la fusion Alstom-Siemens par la Commission européenne [15] [16]. Ce n’est pas une surprise : obsédée par l’idéologie du respect de la concurrence intra-européenne, la Commission cherche à démanteler systématiquement les champions européens en ignorant les nouveaux enjeux concurrentiels mondiaux. En témoigne également la politique énergétique absurde de l’Union européenne qui, pour casser le monopole d’EDF, a contraint la France à créer un marché oligopolistique totalement artificiel de la distribution d’électricité. EDF est aujourd’hui tenue de fournir à ses concurrents (qui eux ne produisent rien !) une part importante de sa production d’électricité à un prix régulé particulièrement bas, ce qui peut mettre en péril sa survie [17]...
• Ensuite parce que plusieurs pays, y sont résolument hostiles : les petits pays (Luxembourg, Malte…) craignent en effet que la nouvelle politique industrielle de l’UE induise des mesures protectionnistes dont ils seraient les premières victimes. Les pays de l’Est européen, quant à eux, redoutent un désengagement des USA comme de l’OTAN qui pourrait gravement porter atteinte à leur sécurité. Dans ces conditions, il sera difficile de trouver un consensus pour approuver un programme d’investissements permettant de contrebalancer les effets de l’Inflation Reduction Actaméricain [18]...
• Et enfin, parce que la nouvelle orientation politique de l’UE n’a pas apporté de réelle solution à la guerre que se livrent les États et les grandes firmes industrielles pour attirer les futures usines (composants électroniques, batteries…) ou les centres de recherche que l’UE souhaite localiser sur le sol européen. En fait, derrière les professions de foi pro-européennes ressurgissent trop souvent les intérêts nationaux [19] : c’est ainsi que certains États du sud de l’Europe ont cédé aux sirènes des « Routes de la soie » et ont permis aux Chinois de prendre le contrôle d’actifs stratégiques [20].
Ajoutons que la taxe carbone européenne évoquée plus haut ne s’appliquera dans un premier temps qu’aux matières premières : acier, ciment, engrais, aluminium et électricité…. Et pas aux produits finis : un couteau entièrement en acier va subir la taxe carbone s’il est fabriqué en France avec de l’acier importé. Il ne sera pas taxé s’il est fabriqué à l’étranger. Il ne faudra donc pas s’étonner si demain le Laguiole ne sera plus fabriqué qu’en Chine [21].
La nouvelle stratégie industrielle de l’UE permettra peut-être de redynamiser le secteur industriel européen, si nous parvenons à maintenir les prix de l’énergie dans les limites du raisonnable.
Mais l’urgence consiste aujourd’hui à sauvegarder notre patrimoine industriel et à éviter des délocalisations massives d’entreprises vers des pays comme les USA qui sont prêts à les accueillir à bras ouverts [22]. Le président de la République dévoilait il y a un an le plan d’investissement France 2030. Avec 54 milliards d’euros, ce plan doit permettre de rattraper le retard industriel français, d’investir massivement dans les technologies innovantes ou encore de soutenir la transition écologique [23]. Espérons que la crise énergétique n’entrainera pas l’échec de ce plan, que certains jugent insuffisant [24].
La France, d’autre part, ne reste pas inactive face aux menaces liées aux IDE entrants, mais elle constitue encore une cible trop facile pour les prédateurs étrangers, malgré un durcissement des procédures de contrôle des IDE entrants.
La Direction Générale du Trésor a publié en mars 2022 un premier rapport d’activité sur le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) qui contient les principales données statistiques sur le sujet et retrace les évolutions de la politique de contrôle IEF en 2021 [25]. Plusieurs informations précieuses ressortent de ce document : en 2021, la majorité des investissements contrôlés (58,8%) ont été réalisés par des investisseurs ultimes non européens (non UE/EEE). D’autre part, 48,6% des investisseurs ultimes en 2021 étaient des investisseurs financiers, 42,5% seulement étaient des investisseurs industriels et 8,9% des personnes physiques. Ces données sont inquiétantes car elles révèlent une mainmise croissante de la finance internationale sur nos entreprises nationales.
Ce même rapport gouvernemental révèle enfin, avec une certaine autosatisfaction, que le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) a connu une activité record en 2021, avec 328 dossiers déposés, en augmentation de 31% par rapport à 2020 : « Le dispositif a permis cette année encore au Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, d’assurer la préservation de l’ordre public, de la sécurité publique et des intérêts de la défense nationale. 124 opérations d’investissement étranger ont ainsi été autorisées en 2021, et les autorisations ont été assorties de conditions dans un peu plus de la moitié des cas ». Faut-il comprendre que les opérations non autorisées ont été « bloquées » par Bercy ? Absolument pas. Il faut aller plus loin dans le rapport pour comprendre qu’en 2021, si 124 investissements ont effectivement été « autorisés » au titre du contrôle IEF, cela signifie que ces investissements concernaient « une activité en France de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale [26] ».
Et les autres ? En 2021, 76% des instructions de demandes d’examen préalable ont conclu à l’ « inéligibilité des activités au contrôle IEF ». Dans ces cas-là, « un investissement étranger dans l’entreprise française réalisant ces activités n’aura pas à être préalablement autorisé par le ministre chargé de l’économie ».
Combien de projets d’investissement ont-ils réellement été interdits par le contrôle IEF ? Le rapport n’en fait pas mention… Mais les vetos de Bercy très médiatisés comme celui du rachat de Photonis par l’américain Teledyne [27] [28] restent a priori exceptionnels. Malgré une extension du domaine des entreprises stratégiques entrant dans le champ de la procédure IEF [29] et la nouvelle reconduction jusqu’au 31 décembre 2023 [30] d’un seuil réduit de détention du capital d’une firme française à 10% déclenchant la procédure de contrôle [31], de nombreuses entreprises françaises sensibles continuent de tomber dans l’escarcelle d’investisseurs non européens, essentiellement américains. Pour ne citer qu’un exemple récent, L’américain Heico vient d’acquérir l’entreprise française Exxelia [32] dont les composants électroniques équipent l’Airbus A350, le F35 Ariane 6 et le Rafale, avant de faire main basse sur la pépite toulousaine TRAD qui est l’un des leaders mondiaux dans le domaine hautement spécialisé de l’ingénierie des rayonnements pour les secteurs spatial, nucléaire et médical… [33]
Pour résumer, le contrôle des IEF n’aboutit, au mieux, qu’à autoriser sous condition certains investissements étrangers, pourtant déclarés « sensibles », conditions que notre Administration peine à faire respecter [34], même si les menaces de sanction suffisent parfois à rappeler aux entreprises prédatrices leurs propres engagements. Nos voisins britanniques n’ont pas les mêmes scrupules et ont décidé de protéger hermétiquement 20 secteurs d’industries jugés d’intérêt national, dont la défense et l’intelligence artificielle, avant d’exclure un actionnaire chinois de leur principal fabricant de semi-conducteurs [35].
En France, la question de la souveraineté économique et des risques liés aux IDE figure pourtant en bonne place dans plusieurs rapports parlementaires récents [36].
Finalement, la priorité de la politique française en matière d’IDE reste centrée autour de l’accueil sur notre territoire d’investissements à forte valeur ajoutée ou innovants. On privilégie donc toujours le prisme de l’intérêt économique de court terme au détriment d’autres enjeux majeurs comme le risque géopolitique ou la dépendance économique.
Laurent Izard, le 30 janvier 2023
Mots-clés
« mondialisation heureuse et froide »compétitivité
économie et histoire
géoéconomie
géopolitique
gouvernance
guerre économique
Industrie
mondialisation
puissance
régionalisation
Relations internationales
souveraineté
Allemagne
Asie
Chine
Etats-Unis
Europe
France
Notes
[1] La France, 1er pays d’accueil des investissements étrangers en Europe en 2021 - Business France
[2] Laurent Izard, La France vendue à la découpe, ed de l’Artilleur 2019.
[3] Rapport Insee décembre 2022 Les entreprises en France - Les entreprises en France | Insee
[4] L’Europe présente son projet à 300 milliards d’euros pour contrer les routes de la soie chinoises (lemonde.fr)
[5] Elie Cohen La réindustrialisation par l’Europe ? Elie Cohen | vie-publique.fr 28/01/2022
[6] UE Marché unique de l’UE - Consilium (europa.eu) 2021
[7] Entrée en application du règlement établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union européenne | Direction générale du Trésor (economie.gouv.fr)
[8] Laurent Izard LES PRÉREQUIS D’UNE SOUVERAINETÉ ECONOMIQUE RETROUVÉE. Par Laurent IZARD - GéopoWeb (geopoweb.fr) 12/02/2021
[9] Après Washington, l’Europe tentée de contrôler les acquisitions à l’étranger | Les Echos 16 janvier 2023
[10] Depuis la loi américaine du 18 avril 2022, tous les projets de rénovation ou construction d’infrastructures (routes, ponts, réseaux internet...) financés sur fonds publics ne doivent plus utiliser que des matières premières américaines. Les produits manufacturés utilisés dans le cadre de ces travaux doivent avoir été créés et produits aux Etats-Unis avec pour seuil minimal un coût de revient supérieur à 55% réalisé localement.
M-22-11 (whitehouse.gov)
[11] Accord européen sur une taxe carbone aux frontières | Gouvernement.fr
[12] Arthur Olivier Commerce international : la Commission européenne freine sur l’accord d’investissement entre la Chine et l’UE - Touteleurope.eu 5/05/2021
[13] Commission européenne Mise à jour de la nouvelle stratégie industrielle de 2020 (europa.eu) 5/05/2021
[14] Eisl A. 2022. « Les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) », Policy paper, Paris : Institut Jacques Delors, 9 mai.
[15] RFI La fusion entre Alstom et Siemens enterrée par la Commission européenne 7/02/2019
[16] L’intérêt industriel et commercial de cette fusion reste toutefois controversé.
[17] Juliette Raynal EDF : nationalisation en vue pour écarter le risque de quasi-faillite (latribune.fr) 6/07/2022
[18] Qu’est-ce que l’ « Inflation Reduction Act » qui inquiète tant les Européens ? | Les Echos
[19] Laurent Izard REINDUSTRIALISER LA FRANCE : UN PARI IMPOSSIBLE ? LA STRATEGIE. - GéopoWeb (geopoweb.fr) 20/10/2021
[20] Olivier Trosseri Routes de la soie : ce que l’Italie a signé | Les Echos 24/03/2019
[21] Exemple entendu dans l’émission « Les Experts » animée par Nicolas Doze
[22] Choc gazier : à travers l’Europe, ces industries qui risquent la délocalisation (lemonde.fr)
[23] France 2030 : un plan d’investissement pour la France | economie.gouv.fr
[24] Réindustrialiser la France, c’est possible. Mais qui aura le courage d’assumer la politique que ça suppose ? | Atlantico.fr
[25] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2022/03/17/publication-du-rapport-annuel-sur-le-controle-ief-en-2021
[26] Parmi ces décisions d’autorisation d’investissement, 54% ont été assorties de conditions fixées par le ministre afin de préserver les intérêts nationaux
[27] Bercy oppose officiellement son veto au rachat de Photonis par l’américain Teledyne (usinenouvelle.com)
[28] Véto tardif, car initialement Bercy avait validé le principe de la cession avant de se rétracter.
[29] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2022/03/17/publication-du-rapport-annuel-sur-le-controle-ief-en-2021
[30] Ce seuil va probablement se pérenniser après cette date
[31] Bercy prolonge encore le contrôle renforcé des investissements étrangers | Les Echos
[32] Exxelia, spécialiste français des composants électroniques, doit passer sous pavillon américain (usine-digitale.fr)
[33] L’américain Heico continue son marché en France avec le rachat de la pépite toulousaine TRAD (latribune.fr)
[34] A cet égard, l’exemple des engagements de Mittal ou de l’aéroport de Toulouse Blagnac en constituent des exemples édifiants.
[35] Londres éjecte un actionnaire chinois de son principal fabricant de semi-conducteurs (msn.com)
[36] Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique (senat.fr) ; Dix axes de travail pour une politique industrielle conquérante (assemblee-nationale.fr)
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