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LE PARTENARIAT BOMBARDIER-AIRBUS, reflet d’une compétition acharnée

vendredi 8 juin 2018 Etudiants Prépa HEC1

Quels sont les enjeux de ce partenariat pour le secteur de l’aéronautique ?

L’aéronautique est un domaine si particulier qu’il ne peut tolérer une production fragile et laborieuse. C’est pourquoi, les trois grands avionneurs mondiaux, Boeing en première place, Airbus au deuxième et enfin Bombardier, se positionnent sur un marché réduit, technique mais très lucratif. Ces constructeurs d’aéronefs toujours plus grands, toujours plus gros et toujours plus rapides se mènent alors la vie dure. Il faut pouvoir proposer une gamme complète, du petit porteur au long courrier. S’affirmer est un enjeu majeur afin de remporter des contrats d’acteurs privés (comme les compagnies aériennes) et publics (flotte militaire). Entre compétition technologique, économique, entre appels d’offre manqués et protectionnisme, le futur rapprochement de Bombardier et d’Airbus remet la concurrence entre les deux géants au coeur de l’actualité.

1. Le contexte économique du rachat

Dans la nuit du 16 au 17 octobre 2017, le groupe Airbus a annoncé prendre le contrôle du programme CSeries de Bombardier. D’abord prévu pour fin 2018, le rachat pourrait avoir lieu avant l’été. C’est un véritable choc dans le monde de l’aéronautique puisqu’il semblerait être un nouvel atout pour le groupe Airbus dans le cadre de sa concurrence avec le géant américain Boeing. Un pacte potentiellement gagnant-gagnant qui élargirait le marché d’Airbus et sauverait Bombardier de l’échec prolongé de son programme CSeries.

Le programme CSeries a été lancé en 2008 pour faire entrer le constructeur canadien dans un nouveau marché avec un nouveau type d’avions. Cela lui aurait permis de concurrencer Airbus et Boeing sur les avions de 100 à 160 places. Ce programme ambitieux a pourtant bien failli causer la perte de Bombardier, à cause de retards sur le plan technique, mais également d’un coût plus élevé que ce qui était planifié (près du double). Le premier avion est lancé en 2016, soit deux ans plus tard que prévu initialement. Auparavant, le groupe avait déjà essayé de céder une part majeure du programme à Airbus. Pourtant c’est le gouvernement québécois qui avait alors sauvé le projet en rachetant une part du programme à hauteur d’un milliard de dollars. Le programme avait au départ besoin de 300 commandes pour être bénéficiaire et en a obtenu 360. Mais avec les retards accumulés, le nombre de commandes nécessaires est passé à 800. De plus, Bombardier a bradé certains de ses avions lors de ses commandes pour se maintenir en vie.

Ce rachat est également un signe de relations compliquées entre Airbus et Boeing mais également entre Bombardier et Boeing  :

  Entre Airbus et Boeing. Ce sont les deux plus gros groupes aéronautiques mondiaux, ils se partagent en fonction des années le leadership de l’aviation et se livrent une concurrence féroce. En France, la tendance est à la protection de son géant aéronautique, la signature de 144 députés français d’une pétition prônant l’achat par Air France de l’A350 au détriment du Boeing 787 en témoigne. Ces mesures de patriotisme économique sont problématiques car le marché principal d’Airbus est américain. De plus, le libéralisme économique s’en trouve affaibli : qui d’un député ou du PDG d’Air France est le mieux placé pour décider de ce que doit faire une entreprise ?

  Entre Bombardier et Boeing. Bombardier est également dans un conflit avec Boeing depuis qu’il a remporté face à ce dernier une commande de 75 avions de taille moyenne (bradés à 19,6 millions de dollars pièce au lieu de 33,2 millions prix catalogue). En effet, les États-Unis ont décidé de taxer à 300 % les avions du programme CSeries sous la pression de Boeing, qui soupçonne Bombardier de brader ses avions grâce à l’aide des subventions de son gouvernement. Ce sont deux illustrations du patriotisme économique puisque les États-Unis viennent en aide au géant américain pour répondre aux subventions canadiennes.

Pour ce qui est de la relation entre Airbus et Bombardier :

  Le groupe québécois avait cherché plusieurs fois à se rattacher à Airbus, sauvé de la faillite par les autorités canadiennes à hauteur de 4 milliards d’euros.
  Airbus fort de sa francophonie et de son potentiel dans tous les domaines (électrique, électronique et mécanique) ferait décoller Bombardier plus facilement. Airbus étant un consortium géant, Bombardier prend moins de risque que s’il s’alliait avec une entreprise unique comme Boeing.

2. Les implications du rachat

Airbus ne débourse rien pour prendre le contrôle de la CSeries. En échange il apporte son réseau commercial pour booster les ventes du CSeries impactées par un conflit commercial avec Boeing. Il ne s’agit donc pas d’un rachat à proprement parler puisque Airbus n’injectera pas d’argent directement. Sa capacité commerciale permettra à Bombardier de profiter d’un accès sans précédent en direction des transporteurs, clients de l’avionneur européen. De plus, des économies importantes pourront être faites en terme de production chez les deux avionneurs.

Ainsi Bombardier devrait profiter de l’expertise d’Airbus en matière d’approvisionnement, de vente, de marketing et du soutien à la clientèle à la Société en commandite Avions CSeries (SCACS). Même si le rachat n’est pas finalisé, Airbus a déjà placé plusieurs cadres au sein de l’organigramme du programme canadien.
Au delà de ce fort contrat commercial, Airbus a annoncé la construction d’une usine pour assembler des avions CSeries sur son site de Mobile en Alabama où il assemble déjà les appareils de la famille A320. Un moyen de contourner les droits de douane infligés par Washington sur l’avion canadien puisque seules les compagnies américaines seront livrées depuis ce site du Sud des Etats-Unis.

Le marché américain doit représenter, à terme jusqu’à 30 % des commandes totales du CSeries. Toutefois le site de Mirabel à côté de Montréal doit continuer à rester le principal site d’assemblage pour le reste du monde, ce qui devrait sauver les emplois au Canada. La présence industrielle mondiale d’Airbus s’étendra désormais au Canada, créant une dynamique positive pour les opérations au Québec et à travers tout le pays. De plus, cela devrait permettre à Airbus de pénétrer d’autres marchés tel que le marché chinois, ce que représente un énorme avantage.

Egalement, Airbus va ajouter deux nouveaux avions à son catalogue. Le CS100 de 110 places et le CS300 de 135 places sont censés compléter la gamme d’Airbus par le bas. Car le plus petit avion de la gamme Airbus reste l’A319 (de 142 places). Son premier vol a eu lieu en 1996 et sa conception est beaucoup plus ancienne que la gamme CSeries qui embarque les dernières technologies. Or le marché des monocouloirs est un levier de croissance clé, qui représente 70 % du futur marché mondial d’avions commerciaux. La famille CSeries vient en complément de l’actuelle famille de monocouloirs d’Airbus. C’est d’autant plus avantageux pour Airbus et Bombardier que leur concurrent, Boeing, n’a qu’une faible avance sur les monocouloirs.

Ainsi selon Tom Enders, PDG d’Airbus : « C’est un partenariat gagnant-gagnant pour tout le monde ! De par leur conception ultramoderne et leurs performances économiques, les avions de la gamme CSeries complètent parfaitement ceux de notre famille actuelle de monocouloirs et étofferont rapidement notre offre sur un marché ultra dynamique. Je suis convaincu que notre partenariat avec Bombardier stimulera les ventes et valorisera considérablement ce programme ». Tout cela témoigne d’un fort enthousiasme de la part d’Airbus.

3. Les conséquences pour le futur : quelles hypothèses ?

Airbus, cet énorme consortium devient compétitif sur une gamme de zinc qu’il ne traitait pas auparavant. De plus, les prix chez Airbus sont très élevés, la gamme CSeries va permettre à Airbus, groupe de confiance et rassurant de proposer des produits moins chers et de bonne qualité. Il s’agit alors d’une alliance qui cible l’Europe et l’Amérique du Nord, deux très grands territoires, où l’aviation est indispensable. Airbus prend véritablement une nouvelle ampleur géographique, Bombardier pourra désormais rayonner en Europe et profiter des marchés dans lesquels Airbus prospère. Ils pourront notamment régler le problème des taxes américaines et ensuite accéder au marché asiatique, en particulier le marché chinois en très forte croissance.

Ces changements non négligeables modifieront peut-être l’actuelle et traditionnelle concurrence entre Boeing et Airbus. Les Etats-Unis vont peut-être fermer complètement leurs portes, en prenant le virage du patriotisme économique, qui peut être vu comme une pratique souveraine déloyale pour le libéralisme si longtemps prôné par les Etats-Unis.

Conclusion

L’influence des Etats et leur ingérence dans les problèmes économiques majeurs redevient un enjeu très actuel. Les Etats souverains se focalisent sur leur économie et sur leur population. Les Etats-Unis voient dans le partenariat Airbus-Bombardier le moyen de perdre des commandes et donc de devoir réduire les effectifs (Boeing emploie 143 609 personnes, soit deux fois plus de personnel qu’Airbus). Ce que l’on peut affirmer, c’est qu’en ouvrant à Bombardier les portes de son site de production en Alabama, Airbus devra employer plus de monde, de quoi rassurer les Etats-Unis.

A. Manzini, M. Cateau, M. Siméon. Prépa Hec , Lyon le 8 juin 2018

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Mots-clés

guerre économique

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