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LES ELECTIONS PRESIDENTIELLES AMÉRICAINES DE 2020 : UN RETOUR A LA NORMALE ? PAR CHRISTIAN MONTÈS

LA VISION D’UN GÉOGRAPHE

mercredi 10 mars 2021 Christian MONTES

Christian Montès (1) vous propose dans cet article une analyse cartographique et comparative des élections américaines de 2020, à partir de l’étude des quatre dernières élections présidentielles (2004, 2008, 2012, 2016). Si les élections de 2020 n’indiquent pas de changement radical du comportement de l’électorat américain. l’auteur nous invite à comprendre les micro-basculements, voire la suppression de l’opposition traditionnelle entre un Sud républicain et une Manufacturing Belt. Un article écrit avec un recul analytique et de quelques mois, salutaire pour la bonne compréhension des tendances.

(1) Christian Montès, Professeur de Géographie. Université Lumière Lyon 2

LES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES AMÉRICAINES DE 2020 : UN RETOUR À LA NORMALE ? La vision d’un géographe

Source : AFP

Les élections présidentielles américaines de 2020 ont fait couler au moins autant d’encre que celle qui avait vu la victoire de Barack Obama en 2008, pour des raisons quasiment opposées. Autant Barack Obama avait été présenté comme une sorte de Messie qui allait enfin résoudre la dure et lancinante question raciale aux Etats-Unis, autant Donald Trump achevait son mandat en étant représenté comme le démon qui voulait abattre les institutions démocratiques traînant dans son sillage racisme et xénophobie, heureusement stoppé dans son élan destructeur par le placide et démocrat(e)ique Joe Biden.

Au-delà de la rhétorique, voire de l’invective, les élections de 2020 montrent-elles un changement radical au sein de l’électorat américain et le renversement du nombre de grands électeurs (Donald Trump en 2016 en avait remporté 304 et Joe Biden 306 en 2020) signale-t-il une modification de fond dans la géographie électorale ? Cette question appelle une réponse négative, tout comme d’ailleurs cela était le cas lors des élections de 2016.

On le voit d’abord dans la carte ci-dessous qui met en regard les résultats de l’élection 2020 avec ceux des quatre qui l’ont précédée : la répartition du rouge et du bleu ne change guère même si leur intensité varie.

Cela est encore plus visible dans la carte ci-dessous, où l’on voit que sur les 3000 comtés des États-Unis, moins de 3% (82) ont changé de majorité entre 2016 et 2020. Même en tenant compte du nombre de voix qu’ils représentent, cela reste modeste à l’échelle nationale. Mais pas à l’échelle des États : c’est particulièrement visible en Arizona où le gros carré bleu sombre caractérise le basculement d’une majorité républicaine à une majorité –ténue mais réelle- démocrate. Ce que la carte montre aussi, c’est que ces basculements sont plutôt localisés et pas toujours suffisants, comme en Floride, restée républicaine malgré le basculement de plusieurs villes-centres peuplées.

Source : Le Parisien

L’absence de basculement politique d’ampleur se voit aussi dans la relative faiblesse de l’écart qui distingue les deux candidats. Il est certes deux fois plus marqué qu’en 2016, mais fait partie des plus faibles écarts depuis 1944 (cf. seconde infographie).

Il faut donc affiner l’analyse et chercher à comprendre où se sont produits les micro-basculements (aux mêmes endroits qu’en 2016 ?) et, plus encore, pourquoi.

Je reprendrai ici les facteurs explicatifs que j’avançais dans le texte rédigé en mai 2017 sur les élections de 2016 pour ce même site.

Y figuraient des représentations différentes de la société, les effets de la métropolisation et de la ruralité, ceux de la désouvriérisation dans la Rust Belt, le système des grands électeurs, la polarisation croissante de la vie politique américaine (à nuancer), l’usure du modèle démocratique, enfin le poids de l’abstention lié en partie à l’impossibilité (de jure ou de facto) de voter pour de nombreuses personnes appartenant à des minorités.
Malgré la hausse historique de la participation (66% avec 158 millions de votants), les grandes tendances de fond restent les mêmes. Tout d’abord, les métropoles votent démocrates du centre aux premières périphéries, leurs périphéries lointaines et les espaces ruraux votent majoritairement, voire presque exclusivement républicain (cf. carte ci-dessous). Il ne faut cependant pas oublier que la plupart des électeurs de Donald Trump résident aussi dans les métropoles : même minoritaires, le nombre absolu de votants est tel qu’il dépasse celui des zones rurales. Cela nuance les oppositions seulement spatiales.

Ensuite, le système des grands électeurs amplifie les tendances tout en étant globalement plus favorable aux États moins peuplés et le plus souvent moins métropolisés, et donc plus républicains (ce sont souvent les comtés rouge sang et donc républicains à plus de 70% voire 90% de la carte). C’est ce qui explique de Donald Trump ait failli être réélu alors qu’il accuse un retard de 7 millions de voix sur Joe Biden.

Il faut donc se tourner vers les micro-mouvements, en prenant garde ne pas en exagérer la portée. Cinq États ont basculé de peu : Géorgie, Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin, Arizona et Nevada et huit autres ont montré de faibles marges. Le basculement y viendrait des comtés urbains et suburbains qui y ont un peu plus voté pour Joe Biden qu’ils ne l’avaient fait pour Hillary Clinton quatre ans auparavant (4,4 points selon Bloomberg), surtout en Arizona (où Phoenix compte 5 millions d’habitants dans son aire métropolitaine élargie sur les 7,3 de l’Etat) en Géorgie (Atlanta : 6,8 millions sur 10,6).

Inversement, Donald Trump n’a pas ou peu gagné de voix dans les comtés ruraux aux niveaux d’éducation faibles. Ce qui unit les électeurs de Trump, ce peut être, comme cela été écrit, la peur du déclin des États-Unis, le réel déclassement d’une partie des espaces anciennement miniers et industriels (que les politiques de Trump n’ont pas renversé malgré une rhétorique agressive), le ressentiment face à ce qui est perçu comme une intolérable intrusion fédérale dans leur mode de vie (valeurs morales et religieuses, port d’armes et même politique de santé) qui fait ressortir le fonds libertaire d’une partie de la population. Mais ceci ne représente pas l’intégralité des 70 millions de personnes qui ont voté Donald Trump. S’y sont ajoutés des (péri)urbains heureux des baisses d’impôt, du discours sur l’entreprise (même si certains s’alarmaient d’un retour à un protectionnisme dangereux pour leurs profits) ; le discours (certes largement fallacieux) sur la liberté de penser en dehors des cadres. L’émotion, la peur et la haine – appuyées sur et nourrissant l’ère de la post-vérité exprimée notoirement par les fake news - ont évidemment joué, mais aussi les intérêts bien compris. Le résultat n’en est pas moins que le vote républicain a une signification différente aujourd’hui, le parti étant globalement plus ancré à droite, voire à l’extrême droite pour certains, qu’il ne l’était auparavant (c’est tout de même le parti de Lincoln !).

Pour conclure, les élections de 2016 pourraient être considérées comme un retour à la normale, si la norme était un personnel politique fédéral de carrière, policé, membre de l’establishment washingtonien. Mais elles n’ont pas vraiment changé la nouvelle « norme » (depuis une vingtaine d’années) qui voit une opposition forte, voire croissante entre d’un côté des métropoles et leurs premières franges qui votent majoritairement démocrate et le reste du pays qui vote majoritairement républicain, ce qui au passage affaiblit voire supprime l’opposition traditionnelle entre un Sud républicain et une Manufacturing Belt démocrate. Les processus toujours actifs de métropolisation signaleraient-ils la victoire ultime des démocrates comme semble le suggérer l’analyse menée sous la houlette de Jacques Lévy (cf. Le Grandcontinent), ou bien le repli sur soi face à la mondialisation et à l’ouverture sociale va-t-il finir par conduire à une guerre civile ? Ce ne serait pas la première.

Toutefois, avant de conclure quoi que ce soit, il faut se rappeler qu’il ne s’agit là que l’un des processus électoraux d’un pays fédéral. D’une part, au même moment, les « représentants » et une partie des sénateurs fédéraux sont élus au sein des États fédérés –avec des résultats parfois différents de ceux de la présidentielle. D’autre part, selon des calendriers différents, les États fédérés élisent leurs gouverneurs, représentants et sénateurs (sauf le Nebraska, monocaméral) et les municipalités leurs conseillers et parfois maires (le pays comporte plusieurs systèmes). A ces échelles, les oppositions que les élections présidentielles ont révélées peuvent ne plus fonctionner. Un électeur de Joe Biden peut voter localement républicain et un électeur de Donald Trump peut voter localement démocrate. Les deux partis sont de fait traversés par des courants antagonistes qui font qu’un républicain californien est bien plus libéral en matière de mœurs qu’un démocrate du Sud ou du Dakota par exemple.

Il faut donc considérer tous les niveaux d’élection avant de parler de coupure spatiale profonde. Même si cette analyse fine n’a pu être menée ici, il est vraisemblable que l’on mettra à jour des extrêmes (les cœurs des métropoles où l’on vote démocrate à toutes les échelles – Washington D.C. ou New York City - contre les zones rurales-industrielles-minières non métropolisées et reculées où l’on votera toujours républicain - Dakota du Nord, Idaho) et toute la gamme intermédiaire où les majorités sont réduites, où elles peuvent changer selon la situation économique, selon les configurations politiques locales, selon les individus qui se présentent etc.
Il n’en reste pas moins qu’il semble bien que les extrêmes s’extrémisent et ont tendance à s’étendre, alors que (parce que ?) depuis une quarantaine d’années, on pouvait avoir l’impression d’une tendance à la convergence entre les deux grands partis à l’échelle nationale.

Christian Montès, Université Lumière Lyon 2, mars 2021

Pour en savoir plus :
http://cartonumerique.blogspot.com/2020/11/electionsUS-2020.html
https://legrandcontinent.eu/fr/2020/12/04/topologies-politiques-election-americaine-2020/

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