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LES VESTIGES DU PAYS DE JU : DE LA RECONQUETE DE LA CHINE AUX SEMI-CONDUCTEURS TAÏWANAIS. Alex Desmules

BRÉSIL : CROISSANCE RALENTIE ET VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION SELON LE RECENSEMENT BRESILIEN DE 2022. Hervé THERY

ERYTHRÉE : LEVER LES BRAS POUR EXISTER. Mathieu ROUBY

LA CHINE ET SES VOISINS : ENTRE PARTENAIRE ET HÉGÉMON. Barthélémy COURMONT et Vivien LEMAIRE

L’ÉCRIVAIN et le SAVANT : COMPRENDRE LE BASCULEMENT EST-ASIATIQUE. Christophe GAUDIN

LE FONDS D’INVESTISSEMENT SOUVERAIN QATARI : UN VECTEUR DE PUISSANCE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE. Lama FAKIH

BRÉSIL 2022, CONJONCTURE ET FONDAMENTAUX. Par Hervé THÉRY

« PRESIDENCE ALLEMANDE DU CONSEIL DE L’UE : QUEL BILAN GEOPOLITIQUE ? " Par Paul MAURICE

LES ELECTIONS PRESIDENTIELLES AMÉRICAINES DE 2020 : UN RETOUR A LA NORMALE ? PAR CHRISTIAN MONTÈS

LES PRÉREQUIS D’UNE SOUVERAINETÉ ECONOMIQUE RETROUVÉE. Par Laurent IZARD

ÉTATS-UNIS : DEMANTELER LES POLICES ? PAR DIDIER COMBEAU

LE PARADOXE DE LA CONSOMMATION ET LA SORTIE DE CRISE EN CHINE. PAR J.R. CHAPONNIERE

CHINE. LES CHEMINS DE LA PUISSANCE

LES GRANDS PROJETS D’INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT SONT-ILS FINIS ? R. Gerardi

POST-CONGRESS CHINA. New era for the country and for the world. Par Michel Aglietta et Guo Bai

LES ENTREPRISES FER DE LANCE DU TRUMPISME...

L’ELECTION D’UN POPULISTE à la tête des ETATS-UNIS. Eléments d’interprétation d’un géographe

Conférence d´Elie Cohen : Décrochage et rebond industriel (26 février 2015)

Conférence de Guillaume Duval : Made in Germany (12 décembre 2013)

GUERRE ECONOMIQUE et STRATEGIE INDUSTRIELLE nationale, européenne. Intervention d’ A. MONTEBOURG

lundi 23 mars 2020 Etudiants GRANDES ECOLES

Les conférences ci-dessous amènent à reposer le défi de l’autonomie stratégique européenne. En somme dépasser cet « impérium » du court terme largement explicatif de la crise industrielle, économique et sanitaire !
Le plan industriel est analysé par A. Montebourg et les professeurs J. Fontanel et G. Vanel. Le plan militaire est traité par le Général J. Pellistrandi.
Le débat a été ouvert sur la question de l’OTAN, avec l’attitude de Donald Trump, qui en dénonce régulièrement son coût et son multilatéralisme.
Comment limiter les effets de la guerre économique, à quel niveau territorial et avec quels alliés ? L’idée d’une défense européenne doit être relancée même si l’Europe a connu en 1954 l’échec de la Communauté Européenne de Défense, dans un autre contexte.
Il faut retrouver une vision (y compris avec le R.U) pour développer plus encore, une industrie européenne de défense (drones, avions, Galileo...).
Evitez la guerre économique sur les questions de défense est la première étape. Le SCAF (projet d’avion de combat européen, horizon 2035/40) pourrait remplacer le Rafale français, l’Eurofighter anglais et le Gripen suédois. P.L

COMPTE-RENDU CONFERENCE D’ARNAUD MONTEBOURG. « Sommes-nous les perdants de la guerre économique ?(5 février 2020) »
Discussion avec Arnaud Montebourg sur les questions de guerre économique et de stratégie industrielle nationale

Que reste-t-il de nos fleurons industriels français : A-t-on lâché l’affaire ?

Il convient tout d’abord de faire un bref rappel de la chronologie de ces vingt dernières années et de montrer les dynamiques entourant les entreprises industrielles stratégiques françaises.

Le premier exemple marquant de l’inquiétante trajectoire que suivent nos fleurons industriels nationaux est celui de l’entreprise Pechiney. Avec Pechiney la France a inventé les procédés nécessaires à la production de l’aluminium, c’est un secteur stratégique car ce matériau présente beaucoup d’avantages et d’applications notamment dans l’aéronautique et l’automobile et peu de substitues. Alors que Pechiney était en passe de fusionner avec le canadien Alcan et le suisse Algroup en 1999, la commission européenne bloque cette méga-fusion au motif d’un risque de prise de position dominante sur le marché unique européen. Quelques années plus tard, en 2003, le champion français de l’aluminium devient la proie d’une OPA hostile d’Alcan, qui ne sera cette fois pas bloquée par les Institutions européennes pire, celles-ci empêcheront même l’État français de s’opposer à la vente. Ainsi la France perdit son fleuron de l’aluminium.
Second exemple, celui d’Arcelor, l’un des leaders mondiaux de l’acier avec 25 milliards d’euros de chiffre d’affaire des dizaines de milliers de salariés, racheté par Mittal au terme d’une OPA hostile en 2006. Loin d’être des cas isolés, il convient de rappeler également les ventes en cascades plus récentes de Lafarge, Alstom, Technip, Alcatel qui s’inscrivent dans la même logique et révèlent des mécanismes similaires.

Cette litanie montre l’incapacité des États, aussi bien au niveau national qu’européen, à organiser la défense de leur entreprise stratégique, au mépris donc de leurs intérêts. Transparait alors les fondements idéologiques profondément libéraux de l’Union Européenne, traduits en droit, selon lesquels la protection de la libre concurrence sur le marché unique prime dans la régulation de la vie économique. Nous organisons en quelque sorte notre propre désarmement.

Le cas Alstom est particulièrement éloquent. La position des américains dans le rachat de la filière Énergie d’Alstom, fleuron technologique et industriel français, par General Electric (GE) aurait pu se résumer par « Je reprends, taisez-vous ». Mettant à profit l’extraterritorialité du droit américain, les moyens de renseignement illégaux du FBI et de la NSA ainsi que les pressions exercées sur le management d’Alstom, GE en étroite collaboration avec le Department Of Justice (DOJ) (qui menace de lourdes sanctions l’entreprise et ses dirigeants) rachète Alstom Power en 2014. Le DOJ a en effet ouvert une enquête contre Alstom pour corruption dans le cadre de l’obtention de marchés à l’étranger estimant que l’entreprise française est soumise au respect du droit américain. Les nombreuses écoutes effectuées par les services de renseignement américains, révélées par Snowden en 2014, sont venues en outre abonder les millions de données collectées au sein même de l’entreprise française grâce à des travailleurs d’Alstom « retournées », c’est-à-dire ayant accepté de collaborer, de porter un micro, après avoir été arrêté par le DOJ. Enfin, des cadres dirigeants, plus loyaux, de la société ont été arrêtés puis mis en prison par le FBI, comme en témoigne aujourd’hui Monsieur Frédéric Pierucci dans son livre glaçant Le piège américain. Le top management de l’entreprise s’est lui-même retrouvé confronté à des menaces du DOJ poussant ces derniers à la vente de l’entreprise. « Voilà l’État de nos amis » s’écrit Monsieur Montebourg.

Ces méthodes sont autant de pressions exercées dans le cadre de la vente d’Alstom qui pourrait caractériser une vente dolosive, le dol contrevenant aux principes général des obligations et pouvant constituer un motif d’annulation d’une vente. Il serait dès lors envisageable de demander l’annulation de la vente d’Alstom Énergie !
On constate ainsi des comportements prédateurs vis-à-vis de nos actifs stratégiques qui s’inscrivent dans la logique de guerre économique menée par les empires américains et chinois et contre lesquelles les puissances industrielles européennes doivent s’organiser afin de protéger leurs intérêts stratégiques. Cette prise de conscience est urgente et relève non seulement de la responsabilité de nos politiques mais aussi de nos chefs d’entreprise qui, du PDG d’Alstom au board de Technip, ont troqué nos intérêts nationaux en échange d’un gros chèque.

En dépit du décret de janvier 2014 réélargissant le contrôle du ministère de l’Économie à 7 secteurs stratégiques et de la loi Sapin II, notre arsenal juridique est insuffisant et nécessite des décisions politiques fortes. L’État aurait par exemple les moyens de procéder à des nationalisations et de s’impliquer dans la vie économique de son pays comme ce fût le cas lors de la prise de participation de l’État au capital de Peugeot pour empêcher une prise de participation chinoise trop importante.

Notre gouvernement semble pourtant encore tourné vers les privatisations, pourquoi ?

La logique de privatisation concernant notamment la Française Des Jeux et Aéroport de Paris est tout à fait incompréhensible si l’on écarte toute considération idéologique. Toutes deux sont des entreprises stratégiques profitables rapportant beaucoup d’argent à l’État. La Française des Jeux est une véritable poule aux œufs d’or et la société ADP est une entreprise d’avenir. Si la raison avancée est la nécessité de trouver de l’argent, il semble toutefois absurde et particulièrement court-termiste de vendre ses recettes futures pour se financer. Privatiser ADP c’est privatiser un monopole public, ce qui va entrainer une augmentation des prix. 36 aéroports ont été privatisés par le passé, et à chaque fois les prix ont explosé. ADP est en outre le hub d’Air France et de la France, si celui-ci est mis dans les mains du privé les prix vont grimper, ce qui nuira aux redevances et à l’image de la France.

Des décisions de cette nature sont particulièrement inquiétantes et participent de l’affaiblissement structurel de notre nation sur les plans économique et industriel. Il convient dès lors de tirer la sonnette d’alarme car un pays qui ne produit pas, est dans la main des autres : pas de brevets, pas de technologie, pas de normes, pas de nouveaux produits, pas de production. Nous risquons ainsi de finir aux mains des autres. Cette réalité doit être mise en évidence et il serait une grave erreur que de faire preuve de naïveté sur ces questions qui relèvent de la souveraineté nationale.

Si les moyens de production sont effectivement ailleurs, si nous perdons effectivement la maîtrise de nos secteurs stratégiques, entrons-nous dans une forme de dépendance, notamment vis-à-vis des Etats-Unis d’Amérique ?

Il est clair que maitriser ses secteurs stratégiques est un enjeu essentiel pour la souveraineté d’un État. Dès lors, maitriser la production de nos turbines nucléaires (produites par Alstom Energie) est essentiel, que ce soit pour le nucléaire civil, compte tenu de l’avenir de l’énergie nucléaire qui permet de décarboner efficacement notre production énergétique pour répondre à l’urgence climatique, comme pour le nucléaire militaire dans la mesure où celles-ci équipent nos bâtiments à propulsions nucléaires. Nous avons donc abandonné des secteurs essentiels de notre souveraineté mais il n’est pas trop tard pour les racheter ! GE n’a pas tenu ses engagements donnés lors de la négociation de la vente d’Alstom Énergie en 2014 et est aujourd’hui en difficulté. Une équipe d’experts a proposé un plan de rachat d’activités stratégiques cédés par Alstom en 2014 qui est très pertinent, notamment dans l’hydraulique car nous avons besoin de maitriser nos énergies propres. Il est de notre devoir d’ouvrir les yeux sur nos intérêts stratégiques et industriels nationaux afin de pouvoir agir en conséquence.

Nous avons aujourd’hui pris conscience de la fragilité de notre situation et de la nécessité d’utiliser des armes que l’on n’aurait pas mobilisé auparavant pour cause de préjugés idéologiques. Aujourd’hui la guerre économique est structurée autour des nations. Celles-ci ont des visions mercantilistes, elles tentent de vendre au plus cher le travail national et se préoccupent prioritairement du niveau de revenu et d’activité économique au sein de leur pays. Les États s’inscrivent ainsi dans une logique de patriotisme économique et en font un axe central de leur comportement politique, c’est le sens à donner au Brexit et à la politique de Monsieur Trump. Les chinois sont eux dans une logique de patriotisme nationaliste absolu, en témoigne la difficulté pour les entreprises étrangères de s’installer en Chine. Nos adversaires utilisent ainsi les armes unilatérales à disposition de l’État, dans une dimension plus ou moins légales, comme l’extraterritorialité du droit américain, invention que l’on peut qualifier d’impérialiste. En réponse à cela il va falloir que la France construise sa souveraineté économique.

Le cas du numérique est particulièrement marquant, nous sommes déjà une colonie numérique des EUA qui capturent la richesse que constituent nos datas pour nous revendre le fruit de leur traitement à prix d’or grâce aux GAFAM, à la manière de la Compagnie des Indes Orientales qui pillait la soie pour la transformer et la revendre aux indiens ensuite. Les Indes se sont révoltées pour reprendre le contrôle de cette richesse, et c’est cette démarche que nous devons adopter, allez plus loin que la seule réglementation RGPD qui protège notre vie privée, certes, mais pas la richesse de nos datas.

Notre environnement parait alors bien hostile : vassalité vis-à-vis des EUA, manque de confiance envers la Chine, une UE trop libérale pour défendre nos intérêts, que faire ?

Nous évoluons effectivement dans un vide. L’UE est une immense paralytique, immobilisée par un très grand nombre de minorités de blocage. Les européens sont divisés et le couple franco-allemand n’existe pas en matière industrielle. L’Allemagne, en raison de son économie extravertie, est tournée uniquement vers l’exportation, notamment vers la Chine et les EUA, elle fait cavalier seul. Le rachat de l’entreprise de robotique Kuka par des investisseurs chinois a toutefois provoqué une prise de conscience côté allemand. En ce qui concerne la France, il est ubuesque de constater que les français ne semblent pas croire en leur économie, faute d’investissements, et que se sont finalement des puissances étrangères qui viennent faire leurs courses, par exemple dans nos pôles de compétitivité. L’une des raisons principales aux rachats d’entreprises françaises par des investisseurs étrangers est l’incapacité à les financer. Or nous avons à dispositions des ressources financières comparables au Fonds de pension américains : nous avons l’assurance vie (2 000 milliards d’euros en encours d’assurance-vie, 50 milliards supplémentaires en contrats d’assurance vie, défiscalisés et placés à 8 ans) ou encore le Fonds de réserve des retraites (150 milliards d’euros), autant de capitaux qui pourraient financer notre économie, nos industries plutôt que d’être investis partout à travers le monde.

Quelles solutions adoptées à l’échelle nationale ?

Il faudrait pour commencer un gouvernement qui s’intéresse à ces questions et qui en parle, qui les privilégie aux sujets sociaux qui passionnent les médias, un gouvernement inscrit dans une démarche de reconstruction économique et industrielle. Il faudrait également orienter le système financier de sorte que celui-ci injecte plus d’argent dans notre économie. En outre, le système bancaire ne faisant pas son travail, nationaliser l’une des deux grandes banques nationales et la fusionner à la Banque Publique d’Investissement (BPI) permettrait de remettre une partie du système bancaire au service de la nation.
Pourquoi pas monter un géant de l’énergie propre, un groupe énergétique à capacité mondiale sur le solaire et l’éolien. De nombreuses choses restent à faire dans la robotique également avec beaucoup de technologies très prometteuses : de quoi faire profiter l’économie du numérique. Nous avons d’ores et déjà des éléments de reconstruction sur des technologies futures nées de l’alliance du public et du privé, telles que les différentes technologies de batteries développées par PSA. Nous devons mettre tous les moyens en œuvre pour construire notre autonomie et pouvoir vivre selon nos vues. Au-delà même des considérations politiques, le bon sens ne nous invite-t-il pas à considérer la mise en place d’une stratégie industrielle trans-partisane ?

Il est grand temps de prendre conscience de la réalité de notre situation au sein de la mondialisation et de la guerre économique. « Les empires ne reconnaissent que ceux qui leur résistent », et nous avons les moyens de le faire, il suffit de le vouloir.

Lien vers l’enregistrement de la conférence :
https://www.facebook.com/283558978441727/videos/662110944595857/
Discussion : Hugo Lemay et Emma Vignolles. Écriture du compte-rendu Benjamin Sinegre et Hugo Lemay, tribune étudiante de Grenoble Ecole de Management

COMPTE-RENDU CONFERENCE (7 février 2020). « La guerre économique : quelle stratégie pour la France au XXIe siècle ? »

Discussion sur la stratégie de la France vis-à-vis des problématiques de guerre économique du point de vue de l’économie politique internationale.
Interventions successives de Messieurs JACQUES FONTANEL et GREGORY VANEL, Professeurs d’économie, à Grenoble École de Management pour l’association Les Jeunes IHEDN et GEM en Débat. Ecriture du compte rendu : Hugo Lemay

Thèse de Monsieur Jacques Fontanel.

Tout d’abord, il convient de faire un point sémantique. L’expression de « guerre économique », bien que particulièrement utilisée ces dernières années, et le sens à donner à son emploi, sont des questions controversées. D’abord, en termes économiques, la guerre se caractérise par un blocus. Dans la théorie économique dominante, la paix se caractérise quant à elle par la domination du libre-échange. Selon la thèse de Fukuyama relative à la « fin de l’Histoire » présentée à la fin du XXe siècle, la guerre est même un concept qui appartient à l’Histoire et qui ne saurait plus faire partie de l’actualité de l’humanité. Il convient toutefois de nuancer cette approche car la guerre économique, elle, est toujours présente. Elle accompagne le développement de nos sociétés, et à mesure que celles-ci évoluent, la guerre économique prend des formes de plus en plus complexes.
Un regard historique permet de mettre en évidence les relations étroites et dangereuses qui ont toujours existées entre l’économie et la guerre. Parler d’économie a nécessité que l’on parle de défense afin d’assurer la protection de la propriété, de la production. La guerre donc est un élément économique très important.

Il y a plusieurs façons de faire la guerre économique. Il est d’abord possible de la faire contre ses amis, l’un des premiers exemples de systématisation de cette méthode est celui de l’URSS. Alors que Tito avait en son temps pour ambition de développer l’industrie yougoslave, Staline s’y est fermement opposé, préférant que le pays se concentre sur la production agricole afin de ne pas concurrencer l’industrie soviétique. En grand frère, L’URSS a alors organisé un blocus de la Yougoslavie impliquant tous les autres États soviétiques et rendant d’autant plus difficile son développement que ses avoirs aux États-Unis d’Amérique (EUA) n’ont pas été libérée. L’URSS renouvellera cette logique de très forte pression économique contre l’Albanie, jugée trop proche de Pékin et contre la Chine également dès 1962. L’URSS n’a jamais obtenu gain de cause dans ces cas.

Ensuite, il est possible de faire la guerre économique contre ses ennemis comme l’ont souvent fait les EUA. Lorsque l’URSS rentre en Afghanistan, les Américains décident de mener un embargo vis-à-vis de la puissance soviétique. Cette guerre économique menée par la superpuissance américaine aura des conséquences néfastes pour ses alliés tels que la France qui se voient contrainte d’abandonner certains de ses marchés d’exportations traditionnels comme le Maroc. Cette politique menée par le président J. Carter lui coûtera sa réélection au profit de celle de R. Reagan qui promet : plus jamais de guerre économique ! Pourtant en 1981, le général polonais Jaruzelski déclare la loi martiale, qui sera le motif d’une nouvelle guerre économique entre les EUA et le bloc soviétique Toute aide apportée aux pays de l’Union Soviétique est alors interdite par les EUA, menaçant d’interdire les contrevenants d’user de tout type d’actifs américains (notamment les brevets) et de faire du commerce avec les EUA et sa zone d’influence. Ainsi, R. Reagan fit la démonstration de la force de la loi américaine et de son impact sur l’organisation du commerce international.

Nous recensons donc historiquement d’importantes guerres économiques. La question qui se pose est celle de savoir à partir de quel stade il est légitime de parler de « guerre ». Dès lors, Monsieur Fontanel propose cette approche conceptuelle de la guerre. Il est possible de parler de guerre dès lors que dans une situation déterminée, un Etat prend une décision susceptible de conduire à des externalités négatives dans le but que celles-ci soient plus lourdement impactantes pour ses adversaires que pour lui-même. Tout l’enjeu pour les belligérants est de rester dominant dans le rapport de force destructeur qui s’établit alors.
Il est dès lors intéressant de s’interroger sur les différents degrés de conflictualité entre les États. Mais aussi de faire preuve de rigueur sémantique, afin d’identifier et de qualifier le plus exactement possible une situation donnée et de ne pas abuser de la notion de guerre économique au risque de la vider de sa substance. Nous distinguerons donc les différends, les conflits et enfin la guerre économique.

D’abord, le différend. Celui-ci se caractérise notamment par une augmentation des taxes à l’importation. Il n’est alors pas question de parler de guerre dans la mesure où les États mobilisent des instruments relevant de leur seule souveraineté. Dès lors, un État qui désobéit aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce et se positionne, souverainement, en opposition à son fonctionnement, exprime un désaccord. Ce désaccord traduit bien un différend économique.
Ensuite, le conflit. Le conflit se caractérise par une volonté de domination d’Etat sur un autre. À ce titre, le meilleur exemple est sans doute celui de l’affirmation de l’extraterritorialité du droit américain. En la matière il convient de mettre en évidence la domination du droit américain dans le secteur des affaires internationales (illustrée par exemple par le grand nombre d’avocats d’affaire américains). Un exemple bien connu de cette domination est celui du retrait des pays européens du marché iranien à la suite des menaces proférées par le Department of Justice (DOJ) et ce malgré le soutien promis par l’Union Européenne pour protéger les entreprises de ses pays membres implantées en Iran.

Enfin, la guerre économique à proprement parler. Celle-ci peut être identifiée dès lors qu’il y a embargo, boycott ou gel d’avoir et doit être déclarée par les pays qui s’y livrent. La guerre économique va plus loin dans la mesure où elle mobilise tous les acteurs nationaux disponibles, comme les ONG (dans le cadre de la révolution orange en Ukraine par exemple). Il est dans ce cas question d’impérialisme revendiqué, d’affrontements, de morts, de misère.

Thèse de Monsieur Grégory Vanel

Notons en préambule le changement de position de la France dans l’économie mondiale : celle-ci représente désormais moins de 1% des exportations mondiales. Il convient dès lors d’interroger le lien qui peut être fait entre la France et les questions de guerre économique. La doctrine néolibérale dominante encourage la mise en place de politiques pro-marchés et pro-concurrentielles. La question qui se pose alors dans un cadre concurrentiel et de libre échange est : quid des perdants ?
Si l’on considère toutefois que le néo-libéralisme a perdu : quid des nouveaux dispositifs institutionnels, du nouveau monde à construire ? Il convient alors de considérer la conflictualité inhérente à l’économie, celle-ci impliquant nécessairement des considérations politiques.

Questionnons le concept de guerre économique. La tradition économique tend à évacuer les questions de conflits et de conflictualité, celle-ci relevant plutôt d’une approche politique. Le prisme économique tend donc à mépriser la question de l’Etat et par extension de ses conflits, de ses guerres. Il semble que la notion même de « guerre économique » ne soit donc pas déployée sur les bonnes bases.
Les États ont aujourd’hui une vision mercantiliste du monde, reposant sur l’idée que la coopération entre Etats n’apporte pas de solutions satisfaisantes et qu’il est par conséquent nécessaire de produire des outils étatiques de protection. Du point de vue réaliste des relations internationales l’enjeu et la préoccupation principale pour chaque Etat est alors son gain relatif (et non absolu) vis-à-vis des autres, à supposer que l’intérêt national soit facilement indentifiable.

Pourquoi serait-il nécessaire d’établir une stratégie de guerre commerciale en France au XXIe siècle ? Pourquoi notre pays devrait-il accepter de rentrer dans le jeu de la conflictualité alors que d’autres impératifs se posent à lui, invitant au contraire à renforcer la coopération internationale. Nous allons dans un premier temps explorer les arguments encourageant à la construction d’une stratégie de guerre économique pour la France au XXIe siècle puis nous poserons les arguments infirmant cette supposée nécessité.

Explorons les arguments qui intiment à la France de se doter d’instruments de guerre économique. Le développement de la production industrielle se base sur quatre grands types de facteurs : un capital abondant, un travail qualifié et efficace, des institutions et des infrastructures (les deux dernières, immobiles et structurantes s’opposant aux deux premières, mobiles). Le premier effet de ce développement est la consolidation de firmes trans-nationales (FTN), fondée sur le concept récent de chaîne de valeur globale et s’associant à une perte de contrôle des Etats. Le second effet est le renforcement de la polarisation des territoires. Les contrastes économiques s’exacerbent en effet entre les espaces où se concentrent les moyens de production et les autres. L’exemple parfait en France est celui de la région parisienne où se concentre l’essentiel de la richesse du pays. Au cœur de la crise de 2008-2009 on pouvait observer que si le taux de chômage avait augmenté de 15% en Espagne, celui-ci avait diminué de 2% en Allemagne.

Le mouvement systémique de numérisation des activités économiques déstructure le système productif mondial. La mise en place d’économies de réseaux a permis l’affirmation de monopoles naturels tels que les GAFAM et les BATX qui concurrencent aujourd’hui les Etats sur la production de connaissance et sur maitrise des technologies. Les Etats perdent ainsi leur capacité à réguler les marchés. Par exemple, Apple possède la 11e réserve mondiale de change ce qui pose un problème systémique : les entreprises deviennent des épargnants alors que celle-ci devrait théoriquement s’endetter. Le système productif rencontre en outre des problèmes liés au financement de la technologie et des réseaux numériques. Si un géant du numérique a les moyens de financer le développement de nouvelles activités de réseau (activités dites de coût fixe, nécessitant donc d’atteindre une taille critique pour survivre) qui lui seraient profitables, la question qui se pose alors est celle de la nécessité et de la capacité pour les Etats de financer de telles infrastructures. Le marché du travail s’en trouve également déstructuré. Les situations de monopsone permettent à l’acheteur unique de discriminer les producteurs et mène à l’achat du travail au prix le plus faible possible, au risque de détruire la force de travail et d’encourager l’explosion des inégalités. Ce mouvement pourrait inviter les Etats à produire des instruments souverains afin de lutter contre ces effets qui leurs sont néfastes.

Le comportement de l’hégémonie américaine soulève également, comme nous l’avons déjà évoqué, bon nombre de questions qui invitent à un réarmement économique. Traditionnellement, l’hégémonie a été considérée comme une position équilibrante. Un lien fort est alors établi entre l’hégémon et la stabilité. L’enjeu qui se pose alors est de redéfinir l’hégémonie. L’hégémon est celui qui aide les autres à se déployer. Prenons l’exemple de la capacité de notation des fonds publics souverains, aujourd’hui conditionnée par l’oligopole américain de la notation. En outre, les EUA se perçoivent, comme souvent dans leur histoire, en déclin donc menacés. Cela est perceptible à travers leur attitude et leur volonté de découpler leur économie de la Chine, menant à plus de violence économique.
Pour ne rien arranger, l’Union Européenne (UE) n’apporte aujourd’hui que peu de solutions à ces enjeux. Si le projet européen était initialement structuré autour de la prévention des dynamiques de polarisation, de cartellisation (concernant notamment l’Allemagne) et autour de la convergence des intérêts nationaux, les grandes évolutions de la construction européenne n’ont pas permis de tenir ces objectifs de départ et ont incité à l’adoption de politique non coopérative de la part de ses Etats membres (dumping fiscal luxembourgeois, irlandais, dumping social,). Faute de coopération européenne la nécessité de recourir à des instruments étatiques de guerre économique pour protéger ses intérêts nationaux semble flagrante.

Il s’agit désormais de mettre en évidence les arguments qui montrent que la France n’a pas intérêt à rentrer dans ce jeu-là et à adopter une stratégie de guerre économique. Tout d’abord, les politiques néolibérales menées depuis les quarante dernières années ont enlevé aux Etats bon nombre d’outils : plus de politique monétaire, fiscale, et quasiment plus de politique industrielle (exceptée dans la défense). Autant de sacrifices fait au profit d’une forte attractivité, certes, mais d’une attractivité non sélective. Cette logique néo-libérale a mené à un appauvrissement de l’Etat, nécessitant de faire des choix budgétaires et à une quasi-absence de contrôle des investissements étrangers en France même quand l’intérêt national pourrait être en jeu. Ce dernier aspect peut être imputé, entre autres, à deux facteurs : d’abord à l’instrumentalisation des investissements étrangers par les banques d’affaires, rémunérées au fees, mais également au sceau du secret défense qui empêche la définition transparente d’une stratégie nationale sur les IDE. Nous avons donc perdu bon nombre de leviers qui permettrait à l’Etat souverain, seul, de mener une stratégie globale de guerre économique.

Et quand bien même une telle stratégie serait envisageable, il ne semble pas qu’une politique de réarmement serait efficace pour répondre aux problèmes prioritaires des Etats. Les problèmes auxquels les Etats comme le France sont soumis sont : le sous-emploi, l’instabilité financière et la soutenabilité de la croissance. Il semble important de rappeler que le nationalisme ne saurait être une solution dès lors que l’on tire les leçons de l’histoire et notamment des causes ayant menées à la première guerre mondiale. La sécurité économique n’est pas seulement liée à l’organisation territoriale du pays mais est désormais liée à la problématique de la sureté économique. Cette distinction terminologique nécessite de prendre en considération, lorsque l’on parle de sureté économique, les enjeux liés à l’environnement, à la biodiversité, aux migrations climatiques par exemple. Autant d’enjeux fondamentaux pour les années et décennies à venir, sources d’une insécurité économique croissante (notons la difficulté grandissante des assureurs à assurer dans ces domaines-là) qui ne saurait être traitée efficacement avec des outils de guerre économique.

Dès lors, la seule solution pour la France est de mettre tous ses efforts dans la restauration de la coopération internationale avec pour objectif de recentrer l’essentiel de la production mondiale sur des productions décarbonées, sobres et locales. En d’autres termes, utiliser la coopération internationale pour renationaliser les systèmes productifs et de consommation. Il s’agit concrètement de trouver des solutions dans le financement de la transition écologique, dans la production décarbonée d’énergie, dans l’aide au population déplacées, dans des modes consommation moins énergivores, moins producteurs de déchets, …, le tout en maintenant des régimes démocratiques. Le problème qui se pose alors est nommé en économie politique internationale « problème d’action collective », relevant de la plus connue « théorie des jeux ». Chaque Etat est individuellement incité à ne pas prendre en charge le coût de ces mesures, mais si personne ne les prend en charge ce coût sera finalement plus élevé pour tous. La France ne pourra évidemment pas mener ses politiques seules, d’où la nécessité de mettre en place une diplomatie économique efficace.

Finalement, en termes de politique à mener face aux enjeux relevant de la guerre économique, mettre en place une stratégie nationale de guerre économique ne permettra pas de répondre aux grands enjeux du XXIe siècle. Les ressources mobilisées ne permettraient pas de pallier efficacement les problèmes de soutenabilité et la conflictualité entre les Etats s’en verrait accrue. S’il est nécessaire de sortir du libre-échange, ce n’est pas en adoptant une politique mercantiliste, comme le font actuellement la plupart des Etats, mais en optant pour un protectionnisme, reposant sur un système d’ouverture mixte, négocié et permettant de renationaliser une production décarbonée : une sorte de nationalisme coopératif.

D’un point de vue théorique, penser l’intérêt économique national ne doit pas être purement basé sur la richesse et la puissance, il convient de prendre en compte les paramètres d’ordre systémique comme la soutenabilité et la sécurité. La notion de sécurité doit aujourd’hui être envisagée sous l’angle de la sécurité humain qui ne saurait être préservée par une économie de la guerre économique.

Lien vers l’enregistrement de la conférence https://www.facebook.com/gemendebat/videos/506686430271468

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