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Economie du bien commun ; Marchés de dupes ; Nos mythologies économiques". Analyse transversale de 3 ouvrages

JEAN TIROLE/GEORGE AKERLORF et ROBERT SHILLER/ ELOI LAURENT

dimanche 12 mars 2017

Economie du bien commun. JEAN TIROLE. PUF, mai 2016
Marchés de dupes. L’économie du mensonge et de la manipulation. GEORGE AKERLORF et ROBERT SHILLER. O. Jacob, mars 2016
Nos mythologies économiques. ELOI LAURENT. Liens qui libèrent, février 2016

Analyse transversale des livres étudiés. Lundi 6 mars 2017

*I. Présentation
Rédigée par F. Petitfaux Florian, B. Ugnon, H. Hadjur, S. Pasquier

Cette introduction a pour but de présenter et de découvrir trois ouvrages ayant des vues similaires ou divergentes sur des concepts économiques fondamentaux. A travers l’étude de Nos mythologies économiques d’Eloi Laurent, l’Economie du bien commun de Jean Tirole et le Marché de dupes de George Akerlof et Robert Shiller, nous allons nous interroger sur le marché, le rôle de l’Etat ou encore la mondialisation de l’économie.

Tout d’abord, chaque ouvrage vise à présenter la vision de l’économie propre à chaque auteur. Jean Tirole, dans l’Economie du bien commun, soulève différentes questions : où est passée la recherche du bien commun ? En quoi l’économie peut-elle contribuer à sa réalisation ? Il souhaite définir le mot “bien commun” qui reposerait alors sur jugement de valeur et une vision purement subjective. L’économiste se demande ainsi : “Dans quelle organisation de la société aimerais-je vivre ?” Il constate que nous réagissons tous aux incitations auxquelles nous sommes confrontés. Nous adoptons ainsi un comportement qui peut aller à l’encontre de l’intérêt général, ce qui justifie la construction d’un bien commun pour réguler les penchants individuels des hommes. La mise en place d’institutions cherchant à concilier intérêts individuels et intérêts généraux sera donc essentielle. L’économie est au service du bien communautaire. Nous pouvons rendre le monde meilleur en identifiant les institutions et les pôles économiques qui vont promouvoir l’intérêt général. Pour Jean Tirole, l’analyse de situations où l’intérêt individuel est compatible avec la quête du bien collectif (ou bien de celle où il l’entrave) est donc centrale

Dans son ouvrage intitulé Nos mythologies économiques, Eloi Laurent a pour objectif de démystifier les concepts économiques utilisés par les politiques. Il déconstruit alors trois discours dominants. Premièrement celui du néolibéralisme (provenant d’une influence anglo-saxonne de Reagan et Thatcher) cristallisé dans un système institutionnel dont nous sommes responsables. Puis, l’économiste s’attaque à la social-xénophobie émergente. Deux visions mythologiques largement répandues sont que l’économie, drainée par des régulations publiques, ne connaitrait pas le marché, ou au contraire que l’Etat serait englouti par le puissant marché. La question de la puissance de l’Etat dans le système de redistribution est alors soulevée. Les « mystifications politiques » sont alors déconstruites afin que de nouvelles bases conceptuelles puissent être établies.

Les deux prix Nobel d’économie Robert Shiller et George Akerlof, mettent en évidence, dans Marché de Dupes, la logique à l’œuvre dans les marchés : une « économie du mensonge et de la manipulation". Leur ouvrage présente, exemples à l’appui, comment les entreprises, quel que soit le secteur, réussissent à abuser les consommateurs, à les pousser à l’achat. Abonnements trop chers, crédits bancaires abusifs, médicaments inutiles, voire mortels (le célèbre cas du l’anti-inflammatoire Vioxx) sont des exemples parlants. Le mensonge et la manipulation sont indissociables de l’économie. Contrairement aux dires d’Adam Smith, le marché ne repose pas sur un équilibre optimal (Main invisible). La concurrence entre les marchés est telle, que toute chance de profit est avidement exploitée par les entreprises. Celles-ci n’ont aucun scrupule à tromper les acheteurs. Les deux prix Nobel visent donc principalement à remettre en cause une macro-économie, dont les théories, fondées sur les grands agrégats, n’expliquent pas suffisamment la réalité micro-économique complexe des consommateurs.

II. Premières lectures
*Rédigées par E. Chiodo, S. Nocqs, A. Guajioti, J. Muracciole

1. Quelle définition pour l’économie de marché ?

Une économie de marché est un système économique assurant une liberté du commerce, obéissant à des lois en fonction de l’offre et la demande. Pierre Samuel Dupont de Nemours, un des porte-parole de la Physiocratie la définissait en affirmant que « le commerce ne peut fleurir que par la liberté et la concurrence, qui dégoûtent des entreprises inconsidérées, et mènent aux spéculations raisonnables ». Des trois auteurs, deux visions ressortent : une « rationnelle » et celle développée dans Marchés de dupes, plus pessimiste et passionnée.

Jean Tirole nous explique que l’économie de marché est devenue le modèle dominant, voire exclusif d’organisation de nos sociétés. L’économie est au service du bien commun. Elle veut rendre le monde meilleur en améliorant les situations individuelles et collectives. L’économie de marché insiste sur la nécessité de faire en sorte que les objectifs individuels soit alignés sur les objectifs collectifs. En somme des individus en phase avec la société. Il s’accorde avec Eloi Laurent pour la définir comme la convergence d’une gouvernance publique et privée, mais ils divergent dans les causes de cette gouvernance. E. Laurent y voit un « partenariat public-privé » c’est-à-dire un mode de gouvernance par lequel une autorité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant ou contribuant au service public. Il résume ainsi l’économie de marché aux agents publics et privés. Les flux la constituant correspondent aux échanges entre ces deux pôles. Encadré par un ensemble de règles, le marché économique est créé par la puissance publique et n’existe que parce qu’il est régulé entre autres par l’Etat. Cette idée de la primauté de l’Etat se confronte à la thèse de J.Tirole. Il affirme que le pouvoir politique a perdu de son influence (au profit du marché et de nouveaux acteurs). Ce marché est donc dicté et impulsé par d’autres acteurs que l’Etat.

Nous pouvons alors rapprocher cette idée de la perte d’influence étatique sur le marché, de la vision d’un « Marché de dupes » de George Akerlof et Robert Shiller. Selon eux, tout est fait dans le but de manipuler, le mensonge domine. Le prix d’équilibre est censé être fixé en fonction de l’offre et de la demande. Mais l’offre et la demande sont totalement manipulées par le marketing utilisant le mensonge, la fraude, dans le but d’influencer les consommateurs, dans un monde qui est faux et orienté pour favoriser ceux qui vendent. Par exemple la publicité est très généralement utilisée pour capter l’intérêt des consommateurs. Pour ces deux prix Nobel d’économie, l’économie de marché utilise des pratiques analogues à celle qui permettent au cancer de s’introduire dans l’équilibre normal du corps humain. Les acteurs privés à l’aide de campagnes publicitaires ont pris le pas sur le politique et sont omniprésents.

Cependant J. Tirole évoque qu’une « victoire en demi-teinte » de cette économie détachée de l’Etat. Elle inspire peu confiance, n’a pas suscité de passions. Elle s’est instituée et il faut s’y résigner. Elle instaure un monde sans pitié dans lequel la charge du politique recule constamment.

2. Qui en assume les risques ? Qui en assume les coûts ?

Dans l’économie de Marchés de dupes, il est simple de comprendre les gagnants et les perdants. Ce sont les consommateurs qui payent les coûts. Ils sont victimes des produits qui leur sont vendus que ce soit dans le domaine pharmaceutique (Vioxx), l’automobile ou encore l’alimentation. C’est le gouvernement et donc le peuple qui en payent les coûts, les industriels eux seuls bénéficient des rentes. Comme nous l’avons vu, ils modèlent l’économie de marché selon leurs intérêts. Les entrepreneurs - en particulier ceux du secteur de la finance et de la construction - profitent des faillites pour faire du profit.

J. Tirole et E. Laurent envisagent au contraire un rôle prédominant de l’Etat. Ils voient tous deux en l’Etat le régulateur, fixant les règles du marché et intervenant quand le marché est déficient. Le premier nous dit que son rôle est : « d’assurer une concurrence saine, réguler les monopoles, superviser le système financier, nous responsabiliser vis-à-vis de l’environnement, nous protéger contre les aléas de santé et de parcours, créer une vraie égalité des chances et redistribuer par l’impôt ». L’Etat en assume donc les risques et la responsabilité.

Pour le second, l’Etat par ses décisions oriente le marché comme dans le cas du libéralisme avec la mondialisation. Selon lui, les économies qui en profitent le plus sont celles où l’Etat est le plus régulateur. Aussi, en cas d’échec d’une politique, les décisions étant majoritairement prises par l’Etat, c’est lui qui prend les risques. Quant aux coûts, l’Etat ne se contente pas de prendre des décisions, il subventionne aussi largement l’économie par le biais de la fiscalité, de l’amoindrissement des coûts sociaux et de l’ensemble des coûts des entrepreneurs. On a donc une collaboration entre Etat et entrepreneurs dans le financement de l’économie. Toutefois, les risques pris mettent potentiellement en danger l’ensemble de la collectivité.

Les deux économistes considèrent donc que l’Etat assume les risques, et les coûts de l’économie de marché.

3. Qui en possède les rentes ?

E. Laurent et J. Tirole s’accordent également sur la détention de la rente. Ce dernier constate qu’avec le temps un phénomène de polarisation s’est renforcé. En effet, on a eu un accroissement du salaire des emplois qualifiés, et une stagnation des rémunérations des emplois moins qualifiés s’accompagnant d’une disparition progressive des emplois intermédiaires. Cela s’est fait dans le contexte de la mondialisation permettant aux entreprises de tirer davantage profit de l’économie de marché avec la libre-concurrence. Ainsi les rentes sont majoritairement détenues par les grands entrepreneurs. J. Tirole mentionne en particulier des sociétés telles que Facebook, Uber, Aibnb. E. Laurent évoque quant à lui l’exemple de la Silicon Valley. Grâce à l’aide de l’Etat et des subventions publiques, elle maximise le profit, favorise l’investissement. La majeure partie des rentes reviennent à une poignée d’acteurs privés, cadres ou PDG.

Pour G. Akerlof et R. Shiller, seuls les industriels profitent des rentes car ce sont eux qui modèlent l’économie de marché selon leurs intérêts, en omettant la part d’action de l’Etat que considère Jean Tirole.

4. « L’Etat est-il le problème ? »

Pour considérer les convergences et divergences de ces économistes quant à a responsabilité de l’Etat, il faut d’abord aborder le rôle qu’ils confèrent à celui-ci. S’il est envisagé comme une structure dépassée et contrôlée par le secteur privé comme l’insinuent l’ouvrage Marchés de dupes, les responsables des crises ou mauvaises conjonctures économiques sont donc les agents privés. L’Etat ne peut logiquement pas être le problème. Il permet une réglementation nécessaire des marchés. Par le biais de normes et associations, elle est davantage la solution aux manipulations et arnaques.

Cependant, G. Akerlof et R. Shiller montrent la défaite possible de l’Etat dans cette entreprise. Ils envisagent comme J. Tirole une interdépendance de l’acteur privé et de l’acteur public. Pour G. Akerlof et R. Shiller, l’Etat est soumis au lobbying pour le financement des campagnes et se retrouve quelquefois contrôlé à son tour. L’essentiel des contributions de campagne vient de groupes d’intérêt qui emploient les lobbyistes. Ceux-ci permettent d’inventer l’histoire du politicien qui lui permettra d’obtenir le plus possible de votes. Cet Etat influencé participe donc au problème.

J. Tirole développe cette idée d’interdépendance entre le marché et l’Etat : le bon fonctionnement du marché dépend du bon fonctionnement de l’Etat et inversement. Il explique que la société ne se pose plus de questions sur un autre modèle que celui d’une économie de marché avec une intervention de l’Etat. Il est impossible de vouloir ramener l’Etat à ses fonctions régaliennes. Il est également impossible de vouloir enlever le marché du centre de l’organisation sociale. Toutefois, l’Etat doit dépenser moins et mieux : éviter des embauches inutiles de fonctionnaires, et quand il embauche dans le service public le faire de manière plus contractuelle. Car en effet l’Etat est souvent défaillant. La crise financière de 2008 a reflété aussi une crise de l’Etat, qui a mal accompli son rôle de régulateur. Dans la mesure ou l’Etat et le marché sont interdépendants, le premier peut donc être le problème s’il assume mal son rôle de régulateur en particulier en cas de crise.

Dans une société en crise, l’important selon E. Laurent est de maintenir la structure sociale et d’éviter une contamination de la crise économique vers une crise sociale. Selon cet auteur, l’analyse Néoclassique qui fait prévaloir l’efficacité économique sur l’égalité, pensant que celle-ci découlera forcément de l’efficacité est erronée. Elle conduit en réalité à plus d’inégalités, à la fois injustes et inefficaces, à l’origine elles mêmes de différentes crises. Il incite à réduire ces inégalités et à abandonner cette logique. De plus, si ce n’est pas l’Etat qui est remis en question mais davantage la logique adoptée, il lui reproche de favoriser ces inégalités, ainsi qu’une mauvaise organisation de celui-ci, essentiellement en temps de crise. On a tendance à vouloir gérer l’Etat comme un ménage, or celui-ci doit agir en compensation des acteurs privés.

Quand les acteurs privés sont à bout de souffle, la Puissance Publique doit prendre le relai au niveau des investissements et non pas serrer la ceinture. Car c’est entre autres par ce biais que l’on fait d’une crise économique une crise sociale. Ainsi l’Etat, mais davantage l’organisation de la société apparaît comme étant le vrai problème. Il en tire des consignes à suivre...

5. Quelle conception de la rationalité ?

La Science Economique a forgé la fiction de l’homo oeconomicus, c’est-à-dire des acteurs économiques rationnels faisant au mieux avec l’information dont ils disposent. Cette rationalité économique peut être contestée par sa négation (G. Akerlof et R. Shiller) ou par la différence entre rationalité individuelle et collective (J. Tirole).

Si l’on considère que les acteurs économiques se font continuellement manipuler, toute rationalité est proscrite. Ils pensent agir rationnellement mais le font en réalité selon la volonté des vendeurs sans s’en rendre compte. Ce semblant de rationalité n’est pas ce qu’ils veulent vraiment et ne leur sera bénéfique en aucun cas. On peut néanmoins envisager une certaine rationalité des « manipulateurs » (entreprises privées, lobbies) qui suivent leurs intérêts et agissent selon les règles du marché. Il faut également, comme le montre J. Tirole, remarquer que rationalité individuelle et rationalité collective ne se rejoignent pas toujours. L’homo oeconomicus n’est pas toujours aussi rationnel que ce que prédit la théorie.

Quelques exemples contrent le modèle : nous procrastinons, les conséquences économiques en sont directes. Ce court-termisme nous amène à agir contre notre propre intérêt. Nous ne sommes pas déterminés, nous donnons trop d’importance au présent. Le calcul se fait entre la jouissance immédiate et les effets négatifs de privation du court terme. De plus, nous nous trompons dans la formation de nos croyances. Par exemple, en tirant une pièce à pile ou face, nous anticipons le prochain lancer en croyant qu’elle tombera sur la face contraire à la précédente. Mais cela ne fonctionne pas ainsi car la pièce n’a pas de mémoire. Enfin, nous ne parvenons pas à bien assimiler et comprendre les conséquences d’une nouvelle information. Les économistes qui croient en la rationalité pensent que nous révisons notre jugement rationnellement. C’est faux car la statistique n’est pas un modèle complètement intuitif ! Etres humains, nous éprouvons de l’empathie, ainsi nous donnons à des associations caritatives, une aide à des inconnus dont nous n’attendons pas de gestes de réciprocité. Ce comportement n’est pas exclu dans l’homo oeconomicus. J. Tirole évoque également un optimisme excessif, une aversion forte pour les pertes, le rôle contre-productif des émotions dans la décision, la mémoire sélective…

E. Laurent, dans son ouvrage dénonce les différents mythes autour de la rationalité, notamment concernant les tentatives d’accroissement de la compétitivité, qui n’est même pas réellement définie. En ce sens, on pourrait rapprocher cette remise en cause de celle de Marchés de dupes. E. Laurent incite à une révision de la rationalité, en y intégrant une logique écologique. Contrairement aux idées reçues, elle est source d’innovation et moteur de l’économie. Quant à la sphère sociale, elle ne se fait pas au détriment de la compétitivité économique.

Ainsi dans cette idée de rationalité, cet économiste intègre les différentes sphères, à la fois économique, environnementale et sociale.

6. Quel récit national dans une économie mondialisée ?

Selon E. Laurent, la mondialisation de l’économie s’est accompagnée d’une montée des partis populistes dénonçant par les multiples flux, l’accroissement de l’immigration dans les territoires. Cette réalité est infondé, mais on a une condamnation notamment dans certains pays européens. Il démontre que l’immigration peut être bénéfique au niveau national, par un enrichissement économique et culturel. Une autre vision de l’Etat dans l’économie mondialisée est donnée par l’auteur, dans le contexte des élections à venir. Il incite à la diminution des réformes structurelles qui cherche à mettre en pièce notre mode de développement alors qu’il faut davantage tenter de le préserver. Ainsi, E. Laurent insiste sur le rôle primordial de l’Etat, qui doit agir comme contre-balancier des acteurs privés, en compensant les lacunes de la sphère privée chaque fois que nécessaire. On a donc une place primordiale de l’Etat dans cette mondialisation qui amène de nombreux défis pour notre pays. Elle a entrainé l’installation d’un marché multiface, où un petit nombre d’entreprises possède la majeure partie des capitalisations boursières. La France ne possède en revanche que de rares plateformes. Il faut nous préparer à ce nouvel environnement.

J. Tirole propose par exemple de former tout particulièrement la jeunesse à cette nouvelle forme de pensée, en orientant leurs études vers plus d’innovation, en montant nos universités au niveau mondial. Il ne faut pas manquer le tournant de l’histoire économique où connaissance, analyse des données et créativité sont au centre de la valeur. Au delà de ses multiples défaillances, le marché n’a aucune raison de produire une distribution des revenus correspondant à ce que désire une société. L’inégalité des revenus s’aggrave dans un monde globalisé. Elle peut elle-même être vue comme un déficit d’assurance. Nous souhaitons récompenser l’effort pour inciter les individus à créer de la richesse pour la collectivité, mais dans le même temps on aimerait une assurance en cas de malheur. L’accès à celle-ci, à la répartition des revenus et de la richesse n’a aucune raison d’être égale à celle que l’on voudrait hypothétiquement. L’inégalité peut être dysfonctionnelle.

*Compléments de Azrioul Ilyas, Bente Amalia, Pibourdin Margaux

Pour J. Tirole, « le marché favoriserait l’éloignement des citoyens par rapport aux institutions traditionnelles comme leurs villages et leurs familles étendues, affaiblissant ainsi le lien à la société qui les entoure ». Il veut dire par là, que les liens établis auparavant entre tout un pays, tout un département, ne sont plus les mêmes. Aujourd’hui, c’est une économie internationale qui s’est faite, dans laquelle le chauvinisme n’a plus trop de place. Mais bien que bénéfique car il resserre certains liens dans un monde qui ne cesse de se fracturer, cet éloignement est aussi désavantageux.

On en vient à détester l’étranger, le « Made In China / Vietnam... », à préférer les produits venus de « chez soi ». C’est pour cela qu’il faut faire attention à ce que ni la mondialisation, ni un certain nationalisme (économique ou commercial) ne prenne le dessus. Selon J. Tirole,« Le marché est à la fois un lieu de compétition et de collaboration, l’équilibre entre les deux est toujours délicat ». Pour G. Akerlof et R. Schiller, la question peut être comprise comme une interprétation de l’économie (de marché) mondialisée, par les peuples à l’échelle nationale. Du fait de la croyance de la société en l’Etat - couplé au fait qu’elle manque cruellement d’informations et n’a pas de bases de données suffisamment solide pour comparer les prix de manière objective - ceci conduit à une société qui n’a pas conscience de ce qu’elle subit par les entreprises. Ainsi, aucune contestation n’est faite à ce propos.

E. Laurent nous rappelle que l’on entend souvent que la France est un pays inadapté à la mondialisation, qu’il faut qu’elle change son modèle social pour s’ouvrir au monde etc... Ce programme économique largement partagé à gauche et à droite est un « conte pour enfants ». Le monde est omniprésent en France et les Français sont partout dans le monde. Notre modèle social est un grand atout pour affronter les chocs d’une mondialisation complexe et incertaine dont l’Europe ne nous protège pas. Le plus grand mythe contemporain est celui de l’impuissance publique. Or L’Etat est nommé dans l’ouvrage « Puissance Publique ». Il est donc bel et bien puissant et réel. L’auteur conteste cette impuissance et explique que le politique joue l’impuissance, la met en scène pour servir les intérêts du marché qu’il contrôle en fait. C’est cela le propre du néolibéralisme utilisant les mythes dans son intérêt. L’Etat n’est donc pas cité en tant qu’entité à part entière, mais faisant parti d’un tout, qui correspondrait à l’ensemble des institutions publiques à toutes les échelles.

Le récit national ne s’efface donc pas, et ne risque pas de s’effacer avec la montée de partis politiques tels que l’extrême droite. Mais ce discours s’efforce de s’intégrer dans l’économie mondiale, car le monde économique et politique d’aujourd’hui nous l’impose. Pour E. Laurent, le modèle social Français est un atout majeur face à la mondialisation.

III. Deuxièmes lectures
*Rédigées par A. Le Magoarou, C. Boscals de Réals, H. Autuori Genaud

1. Quelle définition pour l’économie de marché ?

Pour G. Akerlof et R. Shiller, l’économie de marché repose sur un libre marché. Cependant, ils développent une vision pessimiste de cette liberté. Ce libre marché est en effet régi par un marché de dupes où l’on pratique le mensonge, la tromperie et la manipulation. Il existe de ce fait deux types de tromperies dans ce marché : la dupe émotionnelle qui agit sur la psychologie (publicité, peur de ne pas pouvoir obtenir un produit) et la tromperie informationnelle qui relaie des informations fausses ou erronées et des mensonges.

E. Laurent ne s’inscrit pas dans cette vision, il préfère s’appuyer sur la définition de l’économiste Karl Polanyi qui évoque l’existence d’une interdépendance entre la Puissance Publique et les forces marchandes. L’Etat tire ainsi sa puissance de la régulation du marché. C’est donc le partenariat public-privé qui représente l’économie de marché. J. Tirole approfondit et complexifie cette approche conceptuelle en développant la notion d’interdépendance entre Etat et marché. Dans cette perspective, l’économie de marché est un système dans lequel les agents économiques (entreprises, individus) ont la liberté de vendre et d’acheter des biens, des services et des capitaux. Chacun agit alors en fonction de ses intérêts. Le profit est considéré positivement, récompense du risque.

Pour J. Tirole, l’économie de marché doit avant tout être mise en pratique afin d’atteindre le bien commun. Elle doit favoriser les politiques et les institutions qui pourront promouvoir l’intérêt général. Cette vision, à la tendance utilitariste, regroupe alors les dimensions individuelles et collectives. C’est pourquoi « l’économie, prenant le bien commun comme une donnée, développe les outils pour y contribuer ». L’économie est au service de ce bien commun. La définition de l’économie de marché est redessinée, elle doit par conséquent pouvoir profiter à l’intérêt général et non être au service de la propriété privée et des intérêts individuels. Par ailleurs, alors que l’économie de marché prône le plus souvent un « laisser faire de l’État », J. Tirole, souligne au contraire que le marché et l’Etat ne sont pas des alternatives. Ils sont mutuellement dépendants. Le bon fonctionnement du marché dépend du bon fonctionnement de l’Etat. Inversement, un Etat défaillant ne peut ni contribuer à l’efficacité du marché, ni lui offrir une alternative.

J. Tirole nous offre ainsi une nouvelle vision de l’économie du marché, fondée sur un ensemble d’outils pour atteindre le bien commun et ce avec l’aide de l’État.

2. Qui en assume les risques, qui en assume les coûts ?

Ce sont majoritairement les plus démunis qui assument les risques, que ce soit dans les pays en développement ou dans les pays riches. E. Laurent évoque ainsi ce qu’il appelle une « différenciation sociale ». Il utilise l’exemple de la canicule du printemps 2015 en Inde où les plus pauvres ont été contraints de travailler dans de terribles conditions, alors qu’ils ont un accès plus difficile aux ressources hydrauliques, alimentaires et sanitaires. Concernant les coûts, s’ils n’étaient pas amortis par la Puissance Publique, ils devraient être assumés par les consommateurs. E. Laurent utilise l’exemple de la pollution venant de l’utilisation de ressources naturelles. Si elle n’était pas subventionnée, les consommateurs s’acquitteraient d’un coût prohibitif, comme par exemple le prix d’extraction.

G. Akerlof et R. Shiller élargissent quant à eux les acteurs soumis aux risques. Les risques de ce marché sont assumés par tous, consommateurs comme marchands, producteurs et acteurs financiers. Lorsque des crises ont lieu, en raison du mauvais fonctionnement du marché, tous en subissent les conséquences. Les acteurs de ce marché de dupes doivent cependant principalement assumer les risques. Si leur tromperie est découverte, cela peut conduire à la faillite. Ainsi les coûts sont-ils assumés par les consommateurs, victimes des manipulations qui poussent à acheter plus, à dépenser plus d’argent. Ce sont des victimes des acteurs du marché.

Une nouvelle fois, J. Tirole développe une vision plus complexe de la notion de risque et des agents économiques concernés. L’économie de marché, par son fonctionnement même, présente des risques qui peuvent toucher une majeure partie du prisme national et international. Les crises financières, au fil des décennies se sont succédées et ont plus ou moins modifiées en profondeur notre façon de voir l’organisation économique mondiale. Dernière en date, la crise financière de 2008 est due à un dégonflement de bulles de prix (dont la bulle immobilière américaine) et des pertes importantes des établissements financiers provoquées par la crise des subprimes. Qui assume aujourd’hui ces risques liés à l’économie de marché ? C’est tout d’abord l’État. En effet, comme le souligne J. Tirole, « La crise de 2008 a reflété une crise de l’État, peu enclin à accomplir son travail de régulateur ». Il a manqué de supervision face aux agissements des différentes institutions financières. Leurs manipulations ont abouti à l’une des plus graves crises financières que l’on ait connu. Par ce laxisme vis à vis de la prise de risque des Institutions, l’État n’a pas suffisamment su assumer le rôle qui lui revenait depuis 1945, celui d’un État Providence, chargé de veiller au bien être de sa population. Les acteurs qui assument en premier ces risques sont donc les Institutions Financières (grandes banques etc...). Elles tirent les ficelles du jeu économique mondial et doivent assumer lorsque leurs ficelles se brisent ou que leur stratégie s’avère finalement préjudiciable au plus grand nombre. Ce ne sont pas forcément les mêmes entités qui assument les coûts de cette économie de marché. J. Tirole met en exergue les entreprises qui peuvent disposer d’un pouvoir de marché (capacité à faire payer aux consommateurs des prix bien au-dessus des coûts ou d’offrir des produits de qualité médiocre). Ces crises ont de profondes conséquences et les individus sont les premiers à devoir les affronter. J. Tirole admet des défaillances du marché avec des répercussions sur la population.

 « L’échange peut affecter des tierces parties, par définition non consentantes ». Par exemple, la pollution émise par certaines entreprises.
 « L’échange peut ne pas être effectué en toute connaissance de cause et de façon consentante. ». Certains consommateurs peuvent ne pas être avertis du danger ou des risques de certains produits. Cette économie de marché basée sur la recherche active du profit peut ainsi flouer certains consommateurs.
 « La mise en œuvre d’un échange peut dépasser la capacité de l’individu » : L’individu est soumis au fonctionnement de cette économie de marché et donc aux différentes institutions financières qui la constituent. Par exemple, si la banque de l’individu fait faillite, c’est sur ce dernier que retombera une grande partie des conséquences et non sur l’institution bancaire.
 « Des entreprises peuvent disposer d’un pouvoir de marché c’est-à-dire d’une capacité de faire payer aux consommateurs des prix bien au-dessus des coûts ou d’offrir des produits de qualité médiocre ». En particulier lorsqu’une entreprise est en position de monopole.
 « Si le marché est facteur d’efficacité, il n’a aucune raison de produire l’équité ». C’est une course aux profits avant tout.

3. Qui en possède les rentes ?

Selon E. Laurent, ce sont les promoteurs du « libre » marché qui possèdent les rentes de ce système. Il décrit le modèle économique des entrepreneurs comme étant la capacité « à se spécialiser dans la captation des subventions publiques ». Les entreprises et leurs dirigeants jouissent d’un avantage économique considérable, privatisant le patrimoine commun à leur profits, et faisant semblant de payer une petite part d’un effort collectif. G. Akerlof et R. Shiller sont du même avis, expliquant que les rentes reviennent aux acteurs du marché des dupes. Ces derniers, par des arnaques ou des grands profits peuvent s’enrichir considérablement au détriment de la majeure partie de la population.

J. Tirole précise sa pensée économique en distinguant « une richesse acquise en créant de la valeur pour la société » et une richesse « provenant d’une rente de situation » (rente foncière). Ces deux richesses n’ont pas le même impact pour un pays. C’est avant tout les acteurs majeurs du capitalisme qui reçoivent les rentes dans le premier cas. Il s’agit des actionnaires, des héritiers ou des grands propriétaires de manière générale. Les entreprises qui parviennent à s’imposer sur un marché atteignent une « rente de situation » (à l’image par exemple de Microsoft, avec la majeure partie des ordinateurs qui sont équipés de ses logiciels).

4. « L’Etat est-il le problème ? »

Selon J. Tirole, l’État, à l’origine, n’est pas le problème. L’’État et l’économie de Marché sont profondément liés, il ne peut y avoir l’un sans l’existence de l’autre. L’État ne peut assurer à sa population une vie correcte sans le marché tandis que le marché a besoin de l’État pour être régulé et pallier les défaillances évoquées précédemment. Il « responsabilise les acteurs économiques ». C’est également depuis 1945, un État-providence, garant du bien-être de sa population. Bien qu’à l’origine l’État se veuille solution au problème, il en est finalement devenu progressivement un acteur plus ou moins grand. Bien qu’ayant un rôle régulateur, il est souvent pris à parti par les lobbies qui tendent à l’influencer. De même, la volonté d’être élu ou réélu, brouille les aspirations nobles qui au départ ont poussé des personnes à la politique et éloigne l’État d’un esprit objectif. Enfin celui-ci et plus particulièrement l’État français, peut représenter un problème quant à la gestion des dépenses publiques et à l’embauche de nombreux fonctionnaires. Pour J. Tirole, l’économie moderne passe par un État moderne qui saurait contrebalancer pérennité du système social et libéralisation de certains pouvoirs publics.

Pour G. Akerlof et R. Shiller, le fait d’affirmer que « le problème c’est l’Etat » appartient au marché des dupes. Cette affirmation peut être considérée comme partiellement vraie. Le marché de dupes est d’autant plus puissant que la plupart des arnaques sont légales, c’est-à-dire qu’aucune action contraire à la loi n’est généralement exécutée. L’Etat n’est certes pas l’unique problème mais il en reste un. Les médias contribuent fortement à diffuser cette idée.

E. Laurent module son propos. L’Etat n’est pas forcément source du problème puisqu’il est à l’origine de régulations publiques. Cela permet par exemple des échanges internationaux, et des actions durables, même s’il reste qu’il peut commettre des erreurs. Il prend pour exemple les pays nordiques comme la Suède ou le Danemark qui sont parvenus à instaurer une fiscalité écologique avant-gardiste.

De plus, les politiques publiques menées par l’Etat, comme par exemple l’incitation fiscale, peuvent s’avérer bénéfiques, permettant par exemple la réduction de certains coûts économiques.

5. Quelle conception de la rationalité ?

La définition première de l’homo economicus suppose que l’individu ait un comportement rationnel et agisse au mieux en vue de ses intérêts. J. Tirole nous présente un homo economicus qui va régulièrement à l’encontre de ses intérêts, avec par exemple des erreurs fréquentes de prédiction. L’auteur cite comme illustration notre tendance à penser que si une pièce a été lancée trois fois et que pile a été tiré trois fois, nous aurons tendance à penser que face sera tirée la quatrième fois. Or la probabilité n’aura pas changé, elle sera toujours de 50 %. De leur côté, G. Akerlof et R. Shiller distinguent deux types d’homo economicus. Les acteurs du marché de dupes, cherchant le profit à long terme grâce à des arnaques diverses, qui agissent ainsi en faveur de leurs intérêts (du moins à court terme) et les héros cherchant à consommer d’une nouvelle façon (dans un marché plus durable et plus équitable, vision à long-terme). Les héros s’opposeraient d’une certaine manière à la vision de l’homo economicus de J. Tirole. Il dénonce l’aspect court-termiste de l’homme, n’agissant ainsi pas dans son intérêt ni dans celui du monde. L’homo economicus qu’il décrit ne tend pas vers les acteurs du marché des dupes des deux auteurs précédents. Il est caractérisé par une certaine empathie et investit parfois dans des ONG au détriment de ses propres intérêts, ce qui va à l’encontre de la rationalité.

E. Laurent, de son côté, met à mal les clichés concernant une future « dictature verte ». Selon lui, l’homo economicus ne peut pas utiliser l’écologie d’un point de vue rationnel en faisant abstraction du libéralisme politique. L’homo economicus de E. Laurent tend vers le héros d’Akerlof et Shiller en mettant en avant la transition écologique qui se transforme en transition sociale.

6. Quel récit national dans une économie mondialisée ?

Face à l’omniprésente mondialisation qui constitue les bases de l’économie de marché d’aujourd’hui, le pays a parfois du mal à se distinguer, à faire entendre sa voix et favoriser les entreprises nationales ainsi que la création d’emplois au sein du territoire. Pour le cas de la France, selon E. Laurent, la Puissance Publique a organisé la libéralisation de ses marchés financiers dans les années 1980. Cela a eu pour effet de créer des marchés profonds face à une dette publique importante. L’ubérisation de l’économie a permis l’exploitation des failles de la régulation publique, entraînant la monétarisation d’activités gratuites, l’extension de la sphère marchande à la sphère privée. Mais, en France, il persiste un certain retard dans le cadre international. Par exemple, les inégalités scolaires françaises créées de faibles performances à l’échelle internationale. La France peine ainsi à se redresser dans cette économie mondiale ouverte.

Une parole politique brisant les mythes économiques est nécessaire, non pas l’enchantement actuel autour d’une fièvre identitaire dans le monde. Aux Etats-Unis, le récit national est depuis 1980, le libre marché. Cependant, la conception de l’économie du récit aux Etats-Unis est fausse à cause du processus d’essais-erreurs. Le libre marché s’apparente à la liberté d’expression. Le récit est omniprésent dans la politique du pays concernant les relations entre l’Etat, les ménages et les institutions.

*Compléments de C. Poulain, F. Noguero, M. Cateau, L. Jaillardon

Selon G. Akerlof et R. Shiller, la doxa dominante est que « l’Etat est le problème ». Or il n’est un problème que si le libre marché est parfait, mais ce n’est pas le cas puisqu’il y a existence d’un marché de dupes. Il a un rôle à jouer. Trois exemples le montre : la Sécurité sociale, la régulation des titres financiers, la législation des campagnes électorales. Ils montrent qu’il est « important de ne pas se tromper de récit national » c’est à dire que celui ci doit prendre en compte les avantages du libre marché mais aussi ses inconvénients tel que le marché de dupes. J. Tirole considère que l’Etat doit intervenir pour renforcer la culture économique et rendre la pays attractif. En effet, Dans un contexte d’économie ouverte, il n’existe pas de réelle « french touch », les étudiants se considèrent comme des « citoyens du monde ». Ceux qui sont hautement qualifiés décident souvent de partir, notamment aux Etats- Unis, une perte de capital humain pour la France. Pour rétablir le sentiment d’unité français, il faut alors que le pays devienne plus attractif. Pour peser plus, il faut également renforcer sa culture économique, encore trop faible.

E. Laurent considère qu’il faut s’atteler à « la construction de nouveaux récits communs positifs, dans l’esprit de la mythologie grecque, où la raison et le rêve, sur un pied d’égalité, se nourrissent mutuellement pour donner sens à l’existence humaine ». Il explique qu’en retour des mythologies économiques (des mystification politiques qui camouflent plutôt que mettent en lumière), nous avons une fièvre identitaire croissante. Les mythologies économiques ont désenchanté le monde en réveillant des mythologies culturelles qui si elles devenaient constitutives de notre récit national seraient particulièrement dangereuses.

IV. En synthèse
*Rédigée par S. Weber

Jean Tirole

L’économie de marché est le processus de vente, d’échanges et d’achat des biens régenté par l’offre et la demande. « Le prix de marché est celui qui équilibre l’offre et la demande ». Les Pouvoirs Publics n’ont que peu de pouvoirs sur cette économie de marché. Les privatisations, l’ouverture à la concurrence, la mondialisation, le recours plus systématique aux mises aux enchères dans la commande publique restreignent le champ de la décision publique. Premièrement et directement, consommateurs et vendeurs assument les risques et les coûts.
Les consommateurs (cf pays soviétiques) prennent le risque de venir dans le froid pour obtenir leur bien. « Ils viennent plusieurs heures à l’avance et attendent debout, parfois dans le froid, afin d’obtenir une denrée de consommation courante ». De même, les coûts sont liés au niveau de la demande au prix du marché, aux prix de production etc... L’Etat peut également fixer certains prix et prendre des risques pour réguler l’économie par exemple avec la fiscalité . L’économie de marché n’a pas pour but d’être ce que la société espère et veut qu’elle soit. « Elle n’a aucune raison à priori de générer une structure des revenus et des richesses conformes à ce que voudrait la société. C’est pour cela qu’une fiscalité redistributive a été mise en place dans tous les pays. »
La rente est possédée par les consommateurs, les acteurs économiques privés mais peut partir en fumée par divers moyens. L’Etat est « un problème » sans en être un totalement, en essayant de faire trop bien, en allouant des biens sans avoir toutes les informations. Les hommes qui composent le gouvernement ne sont pas des surhommes. L’Etat fait du mieux qu’il le peut. Néanmoins les intérêts particuliers des hommes politiques peuvent jouer sur les intérêts collectifs de la Nation. « Les hommes politiques et les hauts fonctionnaires réagissent aux incitations auxquelles ils sont confrontés, tout comme les chefs d’entreprise, les salariés, les chômeurs, les intellectuels, ou… les économistes ».
Mais le marché ne peut exister sans l’Etat et l’Etat a besoin du marché. « Non seulement pour protéger la liberté d’entreprendre et sécuriser les contrats au travers du système juridique mais aussi pour corriger ses défaillances ». Il y a une différence entre la rationalité collective et individuelle. « Ce qui est bon pour un acteur économique n’est pas forcément bon pour la société dans son ensemble. » Les êtres rationnels économiquement sont ceux qui agissent au mieux de leurs intérêts avec le peu d’information dont ils disposent. Néanmoins cette rationalité peut être chahutée par notre procrastination, les émotions…
Dans l’économie mondialisée, il est important de conserver tout d’abord ses chercheurs pour qu’ils profitent à leur pays. « Beaucoup de nos chercheurs parmi les plus dynamiques et formés à grands frais par la République s’exilent ». Il faut leur offrir de meilleures options en France pour pouvoir faire exister notre économie dans le monde. « Notre capacité à exister dans l’économie du XXIe siècle dépendra de l’attractivité de nos centres de recherche, en économie comme dans les autres domaines scientifiques ». Pour créer une cohésion nationale, satisfaire les volontés de chacun et permettre de bonnes conditions de vie, l’Etat a un rôle important. « La recherche du bien commun passe en grande partie par la construction d’institutions conciliant autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général ». Néanmoins, le taux de chômage, les difficultés d’emploi, les difficultés de logements mettent en avant certaines inefficacités du système. Ces dysfonctionnements peuvent entrainés des coûts horaires élevés, baissant la compétitivité française et encore une fois augmentant le chômage. Ainsi, dans un récit national, il faut faire en sorte de favoriser l’emploi...

Eloi Laurent

L’économie est en général une croyance commune, un ensemble de représentations collectives et régulatrices jugées dignes de foi, aussi puissantes que contestables. Elle peut être vue collectivement comme une incantation, une réalité supérieure, une mythologie qui désenchante le monde. L’économie de marché « pure » est un « système d’innovation et de production modifié par les systèmes de redistribution ». C’est avant tout un absolu mercantile qui n’a jamais existé. L’acteur public fixe les règles du jeu du marché (ex : Cour de justice de l’Union Européenne). En tant que principe directeur fondamental, la puissance publique en assume les risques et les coûts. Plus généralement ce sont les Institutions publiques qui contrôlent, subventionnent, cherchent à mettre en place les meilleures politiques économiques possibles. Le citoyen dans un autre sens assume aussi les coûts, car même si égalité et efficacité ne sont pas antithétiques, l’économie de marché accroît naturellement les disparités s’il elle n’est pas convenablement régulée. « L’Etat en tire précisément sa puissance ». Il est donc indirectement un bénéficiaire, pouvant utiliser l’économie de marché comme mythe fondateur nébuleux pouvant justifier ses positions. Les entreprises, par le biais de leur habileté face aux impôts en tirent le maximum de rentes. Grâce à l’action de la Puissance Publique, celles-ci sont subventionnées, se développent, ont de substantielles exonérations d’impôts
Il ne faut pas moins d’Etat. Il a sa place face à l’entreprise, et ne doit pas se transformer en entreprise (cf question de la légitimité d’un homme d’affaires en tant que Président des Etats-Unis). Même si parfois les logiques économiques semblent prendre le pas sur les logiques sociales dans certaines de ses décisions, il est le seul organe de la société qui a pour but le bien-être social , le développement constant. Il est le seul organe social réellement structurant, obligé d’assurer la marche en avant. Les régimes sociaux ne sont pas un problème pour l’économie. Le problème écologique nécessite aussi l’intervention des Etats et non la libre marche du marché. Il faut recentrer les intérêts communs. L’Etat est toujours appelé dans l’ouvrage « puissance publique ». Il n’est donc jamais cité en tant qu’entité à part entière, mais en tant que parti d’un tout, qui correspondrait à l’ensemble des Institutions Publiques à toutes les échelles, du communal au supranational voire mondial. Le monde n’est ici pas vu comme une somme de récits nationaux (l’étude du cas de la Chine autour de la pollution montre bien le manque de pertinence de réfléchir seulement autour de son pays) mais plutôt comme un savant emboîtement des différentes Institutions. L’exemple du protocole de Montréal illustre l’articulation entre la souveraineté des Etats et leur coopération efficace. Le récit national ne s’efface donc pas, mais s’efforce de s’inscrire dans l’économie mondiale.

Akerlof et Shiller

L’économie de marché met en relation des acteurs différents avec des influences différentes. Il n’y a pas d’égalité entre les acteurs, il y a une exploitation des plus faibles par les producteurs et les conglomérats, c’est à dire des consommateurs dès que cela est possible dans le but d’augmenter le profit au maximum. Ainsi, les marchés sont basées sur une exploitation peu, voire pas morale mais toujours légale. Les risques reviennent au consommateur. Pour les assumer il lui faut une conscience, or les consommateurs n’ont bien souvent pas de conscience d’être exploités par les FTN. Le risque est alors financier, on peut perdre dans son épargne. Les coûts reviennent au producteur mais l’arnaque du consommateur augmente la marge et réduit donc les coûts. Les rentes reviennent aux producteurs qui dégagent un excédent. Le prix effectif des biens vendus aux consommateurs est largement supérieur aux coûts réels de production.
L’Etat doit réguler le marché au profit d’un consommateur souvent dupé. Il doit permettre plus de transparence, une législation plus claire en faveur de celui ci. L’Etat peut être le problème (laxisme éventuel). La rationalité se situe à deux niveaux. Le consommateur est motivé par son désir de consommer. Il est épris d’un désir inaliénable de consommer, quitte à acheter des biens contingents dont il n’a pas forcément l’argent nécessaire. Quant au producteur, il a une rationalité économique pour assurer son profit maximal, il n’a aucun remord à exploiter un consommateur fragile qui manque de connaissance. La question est comprise comme l’interprétation d’une économie mondialisée à l’échelle nationale. Dans cette situation, la population manque d’informations. Il n’y a pas une base de données suffisante pour permettre une totale comparaison des prix. Ils n’ont pas conscience des possibles arnaques et ne remettent pas le système économique de l’économie de marché en cause.

*Compléments d’A. Fuentes, A. Jeunot, L. Renaudin

L’ouvrage Marché de dupes, l’économie du mensonge et de la manipulation, écrit par G. Akerlof et R. Shiller montre une économie mondialisée, dans laquelle les libres marchés permettent à la plupart des adultes de la planète d’échanger. En outre, il y de plus en plus d’idées, de produits et de services nouveaux qui augmentent l’éventail de nos choix. En économie de marché, nous recherchons, sélectionnons et adoptons ces idées nouvelles car elles peuvent produire des profits accrus et donc peuvent être vues comme un moteur de la croissance économique. Nous sommes face à une abondance de biens et de services que produit le capitalisme de marché grâce aux échanges mais surtout grâce à l’application d’idées nouvelles (le progrès).

Il faut toutefois nuancer car les hommes sont généralement beaucoup plus sceptiques sur le rôle des idées nouvelles dans la production. Celles-ci ne sont pas que technologiques mais résultent aussi de l’évolution de la pensée. Nous sommes désormais capables de tromper les gens et leur faire faire des choses qui sont dans notre intérêt et pas dans le leur. Ainsi, toutes les inventions n’élargissent pas nos choix que pour le meilleur et certaines font autant de mal que de bien. Nous allons certes vers une économie mondialisée qui semble bénéfique, mais cela ne va pas sans l’apparition d’un marché de dupes, qui résulte bel et bien d’une « nouvelle économie », aux conséquences non négligeables sur notre bien-être.

Nos mythologies économiques pose la question de l’Etat surtout d’un point de vue intérieur. C’est au domaine public d’intervenir de façon bénéfique pour toute la collectivité et de permettre le dynamisme économique, la lutte contre les inégalités sociales, le combat contre le racisme et la sauvegarde de l’environnement. Le deuxième mythe, le mythe social-xénophobe, lui permet de poser plus précisément la question de la mondialisation en s’intéressant aux flux migratoires qui certes sont importants de nos jours mais pas autant que lors de la « première mondialisation ». Encore une fois, la question ne se pose pas en terme de relations avec les pays dont partent les immigrés mais en terme d’intégration sociale à l’intérieur du pays d’accueil.

J. Tirole quant lui se concentre sur la France qui apparaît fragilisée, affaiblie d’un point de vue économique. Effectivement, elle est loin d’être un modèle en ce qui concerne l’emploi et le bien-être au travail. Ses entreprises sont majoritairement des entreprises familiales et peu de nouvelles émergent. La situation professionnelle semble compliquée et bloquée puisque le manque de mobilité professionnelle ainsi qu’un sentiment d’insécurité au travail est à noter. La France est donc peu attractive et la société française dominée par un mal être ambiant.

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